anape, le recut
d'un air nonchalant. Comme on ne retrouve jamais sans plaisir une femme
qu'on a aimee, fut-ce Amelina, fut-ce meme Javotte, surtout lorsque l'on
s'est donne tant de peine pour la chercher, Tristan baisa avec
empressement la main fort blanche de son ancienne conquete, puis il prit
place a cote d'elle, et debuta, comme cela se devait, par lui faire ses
compliments sur ce qu'elle etait embellie, qu'il la revoyait plus
charmante que jamais, etc... (toutes choses qu'on dit a toute femme
qu'on retrouve, fut-elle devenue plus laide qu'un peche mortel).
--Permettez-moi, ma chere, ajouta-t-il, de vous feliciter sur l'heureux
changement qui me semble s'etre opere dans vos petites affaires. Vous
etes logee ici comme un grand seigneur.
--Vous serez donc toujours un mauvais plaisant, monsieur de Berville?
repondit Javotte; tout cela est fort simple; ce n'est qu'un
pied-a-terre; mais je me fais arranger quelque chose la-bas, car vous
savez que je perche au diable.
--Oui, j'ai appris que vous etiez au theatre.
--Mon Dieu, oui, je me suis decidee. Vous savez que la grande musique,
la musique serieuse, a ete l'occupation de toute ma vie. M. le baron,
que vous venez de voir, je suppose, sortant d'ici, et qui est un de mes
bons amis, m'a persecutee pour prendre un engagement. Que voulez-vous!
je me suis laisse faire. Nous jouons toutes sortes de choses, le drame,
le vaudeville, l'opera.
--On m'a dit cela, reprit Tristan; mais j'ai a vous parler d'une affaire
assez serieuse, et, comme votre temps doit etre precieux, trouvez bon
que je me hate de profiter de l'occasion que j'ai de vous faire mes
confidences. Vous souvenez-vous d'un certain bracelet?...
Tout en parlant, Tristan, par distraction, jeta les yeux sur la
cheminee; la premiere chose qu'il y remarqua fut la carte de visite de
la Bretonniere, accrochee a la glace.
--Est-ce que vous connaissez ce personnage-la? demanda-t-il avec
surprise.
--Oui; c'est un ami du baron; je le vois de temps en temps, et je crois
meme qu'il dine a la maison aujourd'hui. Mais, de grace, continuez donc,
je vous en prie, et je vous ecoute.
IV
Il y aurait peut-etre pour le philosophe ou pour le psychologue, comme
on dit, une curieuse etude a faire sur le chapitre des distractions.
Supposez un homme qui est en train de parler des choses qui le touchent
le plus a la personne dont il aie plus a craindre ou a esperer, a un
avocat, a une femme ou a un ministre. Quel
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