'elle a passe la nuit
dehors, un Cerbere qu'il faut apaiser.
Ne regardant pas ou il allait, Eugene s'etait engage par hasard dans ce
dedale de petites rues qui sont derriere le carrefour Buci, et dans
lesquelles une voiture passe a peine. Au moment ou il allait revenir sur
ses pas, une femme, enveloppee dans un mauvais peignoir, la tete nue,
les cheveux en desordre, pale et defaite, sortit d'une vieille maison.
Elle semblait tellement faible qu'elle pouvait a peine marcher; ses
genoux flechissaient; elle s'appuyait sur les murailles, et paraissait
vouloir se diriger vers une porte voisine, ou se trouvait une boite aux
lettres, pour y jeter un billet qu'elle tenait a la main. Surpris et
effraye, Eugene s'approcha d'elle et lui demanda ou elle allait, ce
qu'elle cherchait, et s'il pouvait l'aider. En meme temps il etendit le
bras pour la soutenir, car elle etait pres de tomber sur une borne.
Mais, sans lui repondre, elle recula avec une sorte de crainte et de
fierte. Elle posa son billet sur la borne, montra du doigt la boite, et
paraissant rassembler toutes ses forces:--La! dit-elle seulement; puis,
continuant a se trainer aux murs, elle regagna sa maison. Eugene essaya
en vain de l'obliger a prendre son bras et de renouveler ses questions.
Elle rentra lentement dans l'allee sombre et etroite dont elle etait
sortie.
Eugene avait ramasse la lettre; il fit d'abord quelques pas pour la
mettre a la poste, mais il s'arreta bientot. Cette etrange rencontre
l'avait si fort trouble, et il se sentait frappe d'une sorte d'horreur
melee d'une compassion si vive, que, avant de prendre le temps de la
reflexion, il rompit le cachet presque involontairement. Il lui semblait
odieux et impossible de ne pas chercher, n'importe par quel moyen, a
penetrer un tel mystere. Evidemment cette femme etait mourante; etait-ce
de maladie ou de faim? Ce devait etre, en tout cas, de misere. Eugene
ouvrit la lettre; elle portait sur l'adresse: "A monsieur le baron de
***," et renfermait ce qui suit:
"Lisez cette lettre, monsieur, et, par pitie, ne rejetez pas ma priere.
Vous pouvez me sauver, et vous seul le pouvez. Croyez ce que je vous
dis, sauvez-moi, et vous aurez fait une bonne action, qui vous portera
bonheur. Je viens de faire une cruelle maladie, qui m'a ote le peu de
force et de courage que j'avais. Le mois d'aout, je rentre en magasin;
mes effets sont retenus dans mon dernier logement, et j'ai presque la
certitude qu'avant samedi je me
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