l est
probable, tout bien considere, que Tristan ne reviendra que demain. Cela
est facheux, pour deux raisons: d'abord cela inquiete notre mere, et
puis, c'est toujours une chose dangereuse que ces abris trouves chez une
voisine; il n'y a rien qui porte moins conseil qu'une nuit passee sous
le toit d'une jolie femme, et on ne dort jamais bien chez les gens dont
on reve. Quelquefois meme, on ne dort pas du tout. Que va-t-il advenir
de Tristan s'il se prend tout de bon pour cette coquette? Il a du coeur
pour deux, mais tant pis. Elle trouvera aise de le jouer, trop aise,
peut-etre, c'est la mon espoir. Elle dedaignera d'en agir faussement
envers un si loyal caractere. Mais, apres tout, se disait encore Armand,
en soufflant sur sa bougie, qu'il revienne quand il voudra, il est beau
et brave. Il s'est tire d'affaire a Constantine, il s'en tirera a
Renonval.
Il y avait longtemps que toute la maison reposait et que le silence
regnait dans la campagne lorsque le bruit des pas d'un cheval se fit
entendre sur la route. Il etait deux heures du matin; une voix
imperieuse cria qu'on ouvrit, et tandis que le garcon d'ecurie levait
lourdement, l'une apres l'autre, les barres de fer qui retenaient la
grande porte, les chiens se mirent, selon leur coutume, a pousser de
longs gemissements. Armand, qui dormait de tout son coeur, reveille en
sursaut, vit tout a coup devant lui son frere tenant un flambeau et
enveloppe d'un manteau degouttant de pluie.
--Tu rentres a cette heure-ci? lui dit-il; il est bien tard ou bien
matin.
Tristan s'approcha de lui, lui serra la main, et lui dit avec l'accent
d'une colere presque furieuse:
--Tu avais raison, c'est la derniere des femmes, et je ne la reverrai de
ma vie.
Apres quoi il sortit brusquement.
II
Malgre toutes les questions, toutes les instances que put faire Armand,
Tristan ne voulut donner a son frere aucune explication des etranges
paroles qu'il avait prononcees en rentrant. Le lendemain, il annonca a
sa mere que ses affaires le forcaient d'aller a Paris pour quelques
jours, et donna ses ordres en consequence; il avait le dessein de partir
le soir meme.
--Il faut convenir, disait Armand, que tu en agis avec moi d'une facon
un peu cavaliere. Tu me fais la moitie d'une confidence, et tu t'en vas
d'un jour a l'autre avec le reste de ton secret. Que veux-tu que je
pense de ce depart impromptu?
--Ce qu'il te plaira, repondit Tristan avec une indifference si
tranquil
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