Tristan annoncer son
depart. Il l'annonca effectivement du ton le plus calme; mais, en meme
temps, il fixa sur la marquise un regard penetrant, presque dur et
offensif. Elle ne parut y faire aucune attention, et ne lui demanda meme
pas quand il comptait revenir.
--En ce cas-la, reprit-elle, monsieur Armand, vous serez le seul
representant des Berville que nous verrons a Renonval; car je suppose
que nous vous aurons. La Bretonniere dit qu'il a decouvert, avec les
lunettes de mon garde, une espece de cochon sauvage a qui la barbe vient
comme aux oiseaux les plumes...
--Point du tout, dit la Bretonniere, c'est une sorte de truie chinoise,
de couleur noire, appelee tonkin. Lorsque ces animaux quittent la
basse-cour et s'habituent a vivre dans les bois...
--Oui, dit la marquise, ils deviennent farouches, et, a force de manger
du gland, les defenses leur poussent au bout du museau.
--C'est de toute verite, repondit la Bretonniere, non pas, il est vrai,
a la premiere, ni meme a la seconde generation; mais il suffit que le
fait existe, ajouta-t-il d'un air satisfait.
--Sans doute, reprit madame de Vernage, et si un homme s'avisait de
faire comme mesdames les tonkines, de s'installer dans une foret, il en
resulterait que ses petits-enfants auraient des cornes sur la tete. Et
c'est ce qui prouve, continua-t-elle en frappant de son bouquet sur la
main de Tristan, qu'on a grand tort de faire le sauvage: cela ne reussit
a personne.
--Cela est encore vrai, dit la Bretonniere; la sauvagerie est un grand
defaut.
--Elle vaut pourtant mieux, repondit Tristan, qu'une certaine espece de
domesticite.
La Bretonniere ouvrait de grands yeux, ne sachant trop s'il devait se
facher.
--Oui, dit madame de Berville a la marquise, vous avez bien raison.
Grondez-moi ce mechant garcon, qui est toujours sur les grands chemins,
et qui veut encore nous quitter ce soir pour aller a Paris. Defendez-lui
donc de partir.
Madame de Vernage, qui, tout a l'heure, n'avait pas dit un mot pour
essayer de retenir Tristan, se voyant ainsi priee de le faire, y mit
aussitot toute l'insistance et toute la bonne grace dont elle etait
capable. Elle prit son plus doux regard et son plus doux sourire pour
dire a Tristan qu'il se moquait, qu'il n'avait point d'affaires a Paris,
que la curiosite d'une chasse au tonkin devait l'emporter sur tout au
monde; qu'enfin elle le priait officiellement de venir dejeuner le
lendemain a Renonval. Tristan repondait
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