ible qu'a
cette heure et par un temps semblable il s'arrete si longtemps en route;
quelque accident lui sera arrive: je vais envoyer a sa rencontre.
--C'est inutile, repondait Armand; je vous jure qu'il se porte aussi
bien que nous, et peut-etre mieux; car, voyant cette pluie, il se sera
sans doute fait donner a souper dans quelque cabaret de Noisy, pendant
que nous sommes a l'attendre.
L'orage redoublait, le temps se passait; de guerre lasse, on servit le
diner; mais il fut triste et silencieux. Armand se reprochait de laisser
ainsi sa mere dans une incertitude cruelle, et qui lui semblait inutile;
mais il avait donne sa parole. De son cote, madame de Berville voyait
aisement, sur le visage de son fils, l'inquietude qui l'agitait; elle
n'en penetrait pas la cause, mais l'effet ne lui echappait pas. Habituee
a toute la tendresse et aux confidences meme d'Armand, elle sentait que,
s'il gardait le silence, c'est qu'il y etait oblige. Par quelle raison?
elle l'ignorait, mais elle respectait cette reserve, tout en ne pouvant
s'empecher d'en souffrir. Elle levait les yeux vers lui d'un air
craintif et presque suppliant, puis elle ecoutait gronder la foudre, et
haussait les epaules en soupirant. Ses mains tremblaient, malgre elle,
de l'effort qu'elle faisait pour paraitre tranquille. A mesure que
l'heure avancait, Armand se sentait de moins en moins le courage de
tenir sa promesse. Le diner termine, il n'osait se lever; la mere et le
fils resterent longtemps seuls, appuyes sur la table desservie, et se
comprenant sans ouvrir les levres.
Vers onze heures, la femme de chambre de la baronne etant venue apporter
les bougeoirs, madame de Berville souhaita le bonsoir a son fils, et se
retira dans son appartement pour dire ses prieres accoutumees.
--Que fait-il, en effet, cet etourdi garcon? se disait Armand, tout en
se debarrassant, pour se mettre au lit, de son attirail de chasseur.
Rien de bien inquietant, cela est probable. Il fait les yeux doux a
madame de Vernage, et subit le silence imposant de la Bretonniere.
Est-ce bien sur? Il me semble qu'a cette heure-ci la Bretonniere doit
etre dans son coche, en route pour aller se coucher. Il est vrai que
Tristan est peut-etre en route aussi; j'en doute, pourtant; le chemin
n'est pas bon, il pleut bien fort pour monter a cheval. D'une autre
part, il y a d'excellents lits a Renonval, et une marquise si polie peut
certainement offrir un asile a un capitaine surpris par l'orage. I
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