figures avec
un petit crayon blanc. Il montrait ensuite cette ardoise a son voisin,
plus age que lui; celui-ci paraissait le comprendre aussitot, et lui
repondait de la meme maniere avec une tres grande promptitude. Tous deux
echangeaient en meme temps, en ouvrant ou fermant les doigts, certains
signes qui semblaient leur servir a se mieux communiquer leurs idees.
Camille ne comprit rien, ni a ces dessins qu'elle distinguait a peine,
ni a ces signes qu'elle ne connaissait pas; mais elle avait remarque, du
premier coup d'oeil, que ce jeune homme ne remuait pas les levres;--prete
a sortir, elle s'arreta. Elle voyait qu'il parlait un langage qui
n'etait celui de personne, et qu'il trouvait moyen de s'exprimer sans ce
fatal mouvement de la parole, si incomprehensible pour elle, et qui
faisait le tourment de sa pensee. Quel que fut ce langage etrange, une
surprise extreme, un desir invincible d'en voir davantage lui firent
reprendre la place qu'elle venait de quitter; elle se pencha au bord de
la loge et observa attentivement ce que faisait cet inconnu. Le voyant
de nouveau ecrire sur l'ardoise et la presenter a son voisin, elle fit
un mouvement involontaire comme pour la saisir au passage. A ce
mouvement, le jeune homme se retourna et regarda Camille a son tour. A
peine leurs yeux se furent-ils rencontres, qu'ils resterent tous deux
d'abord immobiles et indecis, comme s'ils eussent cherche a se
reconnaitre; puis, en un instant, ils se devinerent, et se dirent d'un
regard: Nous sommes muets tous deux.
L'oncle Giraud apportait a sa niece son mantelet, sa canne et son loup,
mais elle ne voulut plus s'en aller, elle avait repris sa chaise, et
resta accoudee sur la balustrade.
L'abbe de l'Epee venait, alors de commencer a se faire connaitre.
Faisant une visite a une dame, dans la rue des Fosses-Saint-Victor,
touche de pitie pour deux sourdes-muettes qu'il avait vues, par hasard,
travailler a l'aiguille, la charite qui remplissait son ame s'etait
eveillee tout a coup, et operait deja des prodiges. Dans la pantomime
informe de ces etres miserables et meprises, il avait trouve les germes
d'une langue feconde, qu'il croyait pouvoir devenir universelle, plus
vraie, en tout cas, que celle de Leibnitz. Comme la plupart des hommes
de genie, il avait peut-etre depasse son but, le voyant trop grand; mais
c'etait deja beaucoup d'en voir la grandeur. Quelle que put etre
l'ambition de sa bonte, il apprenait aux sourds-muets a lire et
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