a
ecrire. Il les replacait au nombre des hommes. Seul et sans aide, par sa
propre force, il avait entrepris de faire une famille de ces malheureux,
et il se preparait a sacrifier a ce projet sa vie et sa fortune, en
attendant que le roi jetat les yeux sur eux.
Le jeune homme assis pres de la loge de Camille etait un des eleves
formes par l'abbe. Ne gentilhomme et d'une ancienne maison, doue d'une
vive intelligence, mais frappe de la _demi-mort_, comme on disait alors,
il avait recu, l'un des premiers, la meme education a peu pres que le
celebre comte de Solar, avec cette difference qu'il etait riche, et
qu'il ne courait pas le risque de mourir de faim, faute d'une pension du
duc de Penthievre[5]. Independamment des lecons de l'abbe, on lui avait
donne un gouverneur, qui, etant une personne laique, pouvait
l'accompagner partout, charge, bien entendu, de veiller sur ses actions
et de diriger ses pensees (c'etait le voisin qui lisait sur l'ardoise).
Le jeune homme profitait, avec grand soin et grande application, de ces
etudes journalieres qui exercaient son esprit sur toute chose, a la
lecture comme au manege, a l'Opera comme a la messe; cependant un peu de
fierte native et une independance de caractere tres prononcee luttaient
en lui contre cette application penible. Il ne savait rien des maux qui
auraient pu l'atteindre, s'il fut ne dans une classe inferieure ou
seulement, comme Camille, dans un autre lieu qu'a Paris. L'une des
premieres choses qu'on lui avait apprises, lorsqu'il avait commence a
epeler, avait ete le nom de son pere, le marquis de Maubray. Il savait
donc qu'il etait, a la fois, different des autres hommes par le
privilege de la naissance et par une disgrace de la nature. L'orgueil et
l'humiliation se disputaient ainsi un noble esprit, qui, par bonheur, ou
peut-etre par necessite, n'en etait pas moins reste simple.
[Note 5: L'histoire romanesque de ce pretendu comte de Solar est
restee un mystere. Un enfant sourd-muet, abandonne de ses parents, en
1773, fut recueilli par l'abbe de l'Epee. Apres lui avoir appris a
s'exprimer dans le langage des signes, l'abbe crut reconnaitre en lui
l'heritier des comtes de Solar, lui fit obtenir a ce titre une pension
du duc de Penthievre, et l'engagea a faire valoir ses droits. Il y eut
proces.--Un jugement du Chatelet, de 1781, donna gain de cause au jeune
sourd-muet; mais sa partie adverse en appela au parlement. Le proces
demeura en suspens, l'abbe de l'Epee mour
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