dans sa
maison de campagne, n'avait pense qu'au repos; le bonheur avait semble
l'y surprendre. Madame des Arcis n'avait fait qu'un mariage de raison;
l'amour etait venu, il etait reciproque. Un obstacle terrible se placait
tout a coup entre eux, et cet obstacle etait precisement l'objet meme
qui eut du etre un lien sacre.
Ce qui causa cette separation soudaine et tacite, plus affreuse qu'un
divorce, et plus cruelle qu'une mort lente, c'est que la mere, en depit
du malheur, aimait son enfant avec passion, tandis que le chevalier,
quoi qu'il voulut faire, malgre sa patience et sa bonte, ne pouvait
vaincre l'horreur que lui inspirait cette malediction de Dieu tombee sur
lui.
--Pourrais-je donc hair ma fille? se demandait-il souvent durant ses
promenades solitaires. Est-ce sa faute si la colere du ciel l'a frappee?
Ne devrais-je pas uniquement la plaindre, chercher a adoucir la douleur
de ma femme, cacher ce que je souffre, veiller sur mon enfant? A quelle
triste existence est-elle reservee si moi, son pere, je l'abandonne? que
deviendra-t-elle? Dieu me l'envoie ainsi; c'est a moi de me resigner.
Qui en prendra soin? qui relevera? qui la protegera? Elle n'a au monde
que sa mere et moi; elle ne trouvera pas un mari, et elle n'aura jamais
ni frere ni soeur; c'est assez d'une malheureuse de plus au monde. Sous
peine de manquer de coeur, je dois consacrer ma vie a lui faire supporter
la sienne.
Ainsi pensait le chevalier, puis il rentrait a la maison avec la ferme
intention de remplir ses devoirs de pere et de mari; il trouvait son
enfant dans les bras de sa femme, il s'agenouillait devant eux, prenait
les mains de Cecile entre les siennes: on lui avait parle, disait-il,
d'un medecin celebre, qu'il allait faire venir; rien n'etait encore
decide; on avait vu des cures merveilleuses. En parlant ainsi, il
soulevait sa fille entre ses bras et la promenait par la chambre; mais
d'affreuses pensees le saisissaient malgre lui; l'idee de l'avenir, la
vue de ce silence, de cet etre inacheve, dont les sens etaient fermes,
la reprobation, le degout, la pitie, le mepris du monde, l'accablaient.
Son visage palissait, ses mains tremblaient; il rendait l'enfant a sa
mere, et se detournait pour cacher ses larmes.
C'est dans ces moments que madame des Arcis serrait sa fille sur son
coeur avec une sorte de tendresse desesperee et ce plein regard de
l'amour maternel, le plus violent et le plus fier de tous. Jamais elle
ne faisait entendre
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