ester qu'un
mois ou deux. Il y etait avec Camille depuis pres d'un an. Pendant un
an, Camille s'etait refusee a toutes ses propositions de partie de
plaisir, et, comme il etait en meme temps aussi bon et aussi patient
qu'entete, il attendait depuis un an sans se plaindre. Il aimait cette
pauvre fille de toute son ame, sans qu'il en sut lui meme la cause, par
un de ces charmes inexplicables qui attachent la bonte au malheur.
--Mais enfin, je ne sais pas, disait-il, tout en achevant sa bouteille,
ce qui peut t'empecher de venir a l'Opera avec moi. Cela coute fort
cher; j'ai le billet dans ma poche; voila ton deuil fini d'hier; tu as
la deux robes neuves; d'ailleurs tu n'as qu'a mettre ton capuchon, et...
Il s'interrompit.--Diable! dit-il, tu n'entends rien, je n'y avais pas
pense. Mais qu'importe? ce n'est pas necessaire dans ces endroits-la. Tu
n'entends pas, moi, je n'ecoute pas. Nous regarderons danser, voila
tout.
Ainsi parlait le bon oncle, qui ne pouvait jamais songer, quand il avait
quelque chose d'interessant a dire, que sa niece ne pouvait l'entendre
ni lui repondre. Il causait avec elle malgre lui. D'une autre part,
quand il essayait de s'exprimer par signes, c'etait encore pire; elle le
comprenait encore moins. Aussi avait-il adopte l'habitude de lui parler
comme a tout le monde, en gesticulant, il est vrai, de toutes ses
forces; Camille s'etait faite a cette pantomime parlante, et trouvait
moyen d'y repondre a sa facon.
Le deuil de Camille venait de finir en effet, comme le disait le
bonhomme. Il avait fait faire deux belles robes a sa niece, et les lui
presentait d'un air a la fois si tendre et si suppliant, qu'elle lui
sauta au cou pour le remercier, puis elle se rassit avec la tristesse
calme qu'on lui voyait toujours.
--Mais ce n'est pas tout, dit l'oncle, il faut les mettre, ces belles
robes. Elles sont faites pour cela, ces robes; elles sont jolies, ces
robes. Et, tout en parlant, il se promenait par la chambre en faisant
danser les robes comme des marionnettes.
Camille avait assez pleure pour qu'un moment de joie lui fut permis.
Pour la premiere fois depuis la mort de sa mere, elle se leva, se placa
devant son miroir, prit une des deux robes que son oncle lui montrait,
le regarda tendrement, lui tendit la main, et fit un petit signe de tete
pour dire: Oui.
A ce signe, le bonhomme Giraud se mit a sauter comme un enfant, avec ses
gros souliers. Il triomphait: l'heure etait enfin venue ou il
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