iner, les rabat-joie qui font des periodes; elle sera
jolie, elle aura de l'esprit, elle ne fera pas de bruit; elle ne sera
pas obligee, comme un aveugle, d'avoir un caniche pour se promener. Ma
foi, si j'etais jeune, je l'epouserais tres bien quand elle sera grande,
et aujourd'hui que je suis vieux et sans enfants, je la prendrais tres
bien chez nous comme ma fille, si par hasard elle vous ennuyait.
Lorsque l'oncle Giraud tenait de pareils discours, un peu de gaiete
rapprochait par instants M. des Arcis de sa femme. Ils ne pouvaient
s'empecher de sourire tous deux a cette bonhomie un peu brusque, mais
respectable et surtout bienfaisante, ne voulant voir le mal nulle part.
Mais le mal etait la; tout le reste de la famille regardait avec des
yeux effrayes et curieux ce malheur, qui etait une rarete. Quand ils
venaient en carriole du gue de Mauny[4], ces braves gens se mettaient en
cercle avant diner, tachant de voir et de raisonner, examinant tout d'un
air d'interet, prenant un visage compose, se consultant tout bas pour
savoir quoi dire, tentant quelquefois de detourner la pensee commune par
une grosse remarque sur un fetu. La mere restait devant eux, sa fille
sur ses genoux, sa gorge decouverte, quelques gouttes de lait coulant
encore. Si Raphael eut ete de la famille, la Vierge a la Chaise aurait
pu avoir une soeur; madame des Arcis ne s'en doutait pas, et en etait
d'autant plus belle.
[Note 4: Le gue de Mauny est un site pittoresque des environs du
Mans et un but de promenade pour les habitants de la ville.]
III
La petite fille devenait grande; la nature remplissait tristement sa
tache, mais fidelement. Camille n'avait que ses yeux au service de son
ame; ses premiers gestes furent, comme l'avaient ete ses premiers
regards, diriges vers la lumiere. Le plus pale rayon de soleil lui
causait des transports de joie.
Lorsqu'elle commenca a se tenir debout et a marcher, une curiosite tres
marquee lui fit examiner et toucher tous les objets qui l'environnaient,
avec une delicatesse melee de crainte et de plaisir, qui tenait de la
vivacite de l'enfant, et deja de la pudeur de la femme. Son premier
mouvement etait de courir vers tout ce qui lui etait nouveau, comme pour
le saisir et s'en emparer; mais elle se retournait presque toujours a
moitie chemin en regardant sa mere, comme pour la consulter. Elle
ressemblait alors a l'hermine, qui, dit-on, s'arrete et renonce a la
route qu'elle voulait suivre, si elle
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