s la chambre.
De temps en temps il s'approchait de la jeune fille, s'arretait devant
elle, et la regardait d'un air presque paternel. La jeune fille, alors,
etendait le bras, soulevait la bouteille avec un empressement mele d'une
sorte de repugnance involontaire, et remplissait le verre. Le vieillard
buvait un petit coup, puis recommencait a marcher, tout en gesticulant
d'une facon singuliere et presque ridicule, pendant que la jeune fille,
souriant d'un air triste, suivait ses mouvements avec attention.
Il eut ete difficile, a qui se fut trouve la, de deviner quelles etaient
ces deux personnes: l'une, immobile, froide, pareille au marbre, mais
pleine de grace et de distinction, portant sur son visage et dans ses
moindres gestes plus que ce qu'on appelle ordinairement la beaute;
l'autre, d'une apparence tout a fait vulgaire, les habits en desordre,
le chapeau sur la tete, buvant du gros vin de cabaret, et faisant
resonner sur le parquet les clous de ses souliers. C'etait un etrange
contraste.
Ces deux personnes etaient pourtant liees par une amitie bien vive et
bien tendre. C'etait Camille et l'oncle Giraud. Le digne homme etait
venu a Chardonneux lorsque madame des Arcis avait ete portee d'abord a
l'eglise, puis a sa derniere demeure. Sa mere etant morte et son pere
absent, la pauvre enfant se trouvait alors absolument seule en ce monde.
Le chevalier, ayant une fois quitte sa maison, distrait par son voyage,
appele par ses affaires et oblige de parcourir plusieurs villes de la
Hollande, n'avait appris que fort tard la mort de sa femme; en sorte
qu'il se passa pres d'un mois, pendant lequel Camille resta, pour ainsi
dire, orpheline. Il y avait bien, il est vrai, a la maison une sorte de
gouvernante qui avait charge de veiller sur la jeune fille; mais la
mere, de son vivant, ne souffrait point de partage. Cet emploi etait une
sinecure; la gouvernante connaissait a peine Camille, et ne pouvait lui
etre d'aucun secours dans une pareille circonstance.
La douleur de la jeune fille a la mort de sa mere avait ete si violente,
qu'on avait craint longtemps pour ses jours. Lorsque le corps de madame
des Arcis avait ete retire de l'eau et apporte a la maison, Camille
accompagnait ce cortege funebre en poussant des cris de desespoir si
dechirants que les gens du pays en avaient presque peur. Il y avait, en
effet, je ne sais quoi d'effrayant dans cet etre qu'on etait habitue a
voir muet, doux et tranquille, et qui sortait tout
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