le. Tandis que je composais mes poemes, elle barbouillait des
rames de papier. Je lui recitais mes vers a haute voix, et cela ne la
genait nullement pour ecrire pendant ce temps-la. Elle pondait ses
romans avec une facilite presque egale a la mienne, choisissant toujours
les sujets les plus dramatiques, des parricides, des rapts, des
meurtres, et meme jusqu'a des filouteries, ayant toujours soin, en
passant, d'attaquer le gouvernement et de precher l'emancipation des
merlettes. En un mot, aucun effort ne coutait a son esprit, aucun tour
de force a sa pudeur; il ne lui arrivait jamais de rayer une ligne, ni
de faire un plan avant de se mettre a l'oeuvre. C'etait le type de la
merlette lettree.
Un jour qu'elle se livrait au travail avec une ardeur inaccoutumee, je
m'apercus qu'elle suait a grosses gouttes, et je fus etonne devoir en
meme temps qu'elle avait une grande tache noire dans le dos.
--Eh, bon Dieu! lui dis-je, qu'est-ce donc? est-ce que vous etes malade?
Elle parut d'abord un peu effrayee et meme penaude; mais la grande
habitude qu'elle avait du monde l'aida bientot a reprendre l'empire
admirable qu'elle gardait toujours sur elle-meme. Elle me dit que
c'etait une tache d'encre, et qu'elle y etait fort sujette dans ses
moments d'inspiration.
--Est-ce que ma femme deteint? me dis-je tout bas. Cette pensee
m'empecha de dormir. La bouteille de colle me revint en memoire.--O
ciel! m'ecriai-je, quel soupcon! Cette creature celeste ne serait-elle
qu'une peinture, un leger badigeon? se serait-elle vernie pour abuser de
moi?... Quand je croyais presser sur mon coeur la soeur de mon ame, l'etre
previlegie cree pour moi seul, n'aurais-je donc epouse que de la farine?
Poursuivi par ce doute horrible, je formai le dessein de m'en
affranchir. Je fis l'achat d'un barometre, et j'attendis avidement qu'il
vint a faire un jour de pluie. Je voulais emmener ma femme a la
campagne, choisir un dimanche douteux, et tenter l'epreuve d'une
lessive. Mais nous etions en plein juillet; il faisait un beau temps
effroyable.
L'apparence du bonheur et l'habitude d'ecrire avaient fort excite ma
sensibilite. Naif comme j'etais, il m'arrivait parfois, en travaillant,
que le sentiment fut plus fort que l'idee, et de me mettre a pleurer en
attendant la rime. Ma femme aimait beaucoup ces rares occasions: toute
faiblesse masculine enchante l'orgueil feminin. Une certaine nuit que je
limais une rature, selon le precepte de Boileau, il advi
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