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plein coeur du bienfait de Dieu qui le rend si superieur aux poetes, et
donnait librement sa pensee au silence qui l'entourait. Je ne pus
resister a la tentation d'aller a lui et de lui parler.
--Que vous etes heureux! lui dis-je: non seulement vous chantez tant que
vous voulez, et tres bien, et tout le monde ecoute; mais vous avez une
femme et des enfants, votre nid, vos amis, un bon oreiller de mousse, la
pleine lune et pas de journaux. Rubini et Rossini ne sont rien aupres de
vous: vous valez l'un, et vous devinez l'autre. J'ai chante aussi,
monsieur, et c'est pitoyable. J'ai range des mots en bataille comme des
soldats prussiens, et j'ai coordonne des fadaises pendant que vous
etiez dans les bois. Votre secret peut-il s'apprendre?
--Oui, me repondit le rossignol, mais ce n'est pas ce que vous croyez.
Ma femme m'ennuie, je ne l'aime point; je suis amoureux de la rose:
Sadi, le Persan, en a parle. Je m'egosille toute la nuit pour elle, mais
elle dort et ne m'entend pas. Son calice est ferme a l'heure qu'il est:
elle y berce un vieux scarabee,--et demain matin, quand je regagnerai
mon lit, epuise de souffrance et de fatigue, c'est alors qu'elle
s'epanouira, pour qu'une abeille lui mange le coeur!
FIN DE L'HISTOIRE D'UN MERLE BLANC.
Il n'y a pas une seule page de ce conte qui ne renferme, sous la forme
d'une piquante allegorie, quelque peinture de moeurs d'une verite
frappante, ou quelque trait de critique litteraire plein de raison et de
verve gauloise. Les souffrances, les deceptions, les chagrins des poetes
en general, et ceux de l'auteur en particulier, y sont presentes
gaiement sous des allusions si transparentes que nous ne ferons pas au
lecteur l'injure de lui en donner l'explication.
L'_Histoire d'un merle blanc_ a paru pour la premiere fois dans les
_Scenes de la vie privee des animaux_, ouvrage publie par livraisons et
illustre par le crayon de Grandville.
PIERRE ET CAMILLE
1844
I
Le chevalier des Arcis, officier de cavalerie, avait quitte le service
en 1760. Bien qu'il fut jeune encore, et que sa fortune lui permit de
paraitre avantageusement a la cour, il s'etait lasse de bonne heure de
la vie de garcon et des plaisirs de Paris. Il se retira pres du Mans,
dans une jolie maison de campagne. La, au bout de peu de temps, la
solitude, qui lui avait d'abord ete agreable, lui sembla penible. Il
sentit qu'il lui etait difficile de rompre tout a coup avec les
habitudes de sa jeun
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