rsqu'on lui annonca Croisilles, qui entra d'un air
humble mais resolu, et dans tout le desordre qu'on peut supposer d'un
homme qui a grande envie de se noyer. M. Godeau fut un peu surpris de
cette visite inattendue; il crut que sa fille avait fait quelque
emplette; il fut confirme dans cette pensee en la voyant paraitre
presque en meme temps que le jeune homme. Il fit signe a Croisilles, non
pas de s'asseoir, mais de parler. La demoiselle prit place sur un sofa,
et Croisilles, reste debout, s'exprima a peu pres en ces termes:
--Monsieur, mon pere vient de faire faillite. La banqueroute d'un
associe l'a force a suspendre ses payements, et, ne pouvant assister a
sa propre honte, il s'est enfui en Amerique, apres avoir donne a ses
creanciers jusqu'a son dernier sou. J'etais absent lorsque cela s'est
passe; j'arrive, et il y a deux heures que je sais cet evenement. Je
suis absolument sans ressources et determine a mourir. Il est tres
probable qu'en sortant de chez vous je vais me jeter a l'eau. Je
l'aurais deja fait, selon toute apparence, si le hasard ne m'avait fait
rencontrer mademoiselle votre fille tout a l'heure. Je l'aime, monsieur,
du plus profond de mon coeur; il y a deux ans que je suis amoureux
d'elle, et je me suis tu jusqu'ici a cause du respect que je lui dois;
mais aujourd'hui, en vous le declarant, je remplis un devoir
indispensable, et je croirais offenser Dieu si, avant de me donner la
mort, je ne venais pas vous demander si vous voulez que j'epouse
mademoiselle Julie. Je n'ai pas la moindre esperance que vous
m'accordiez cette demande, mais je dois neanmoins vous la faire; car je
suis bon chretien, monsieur, et lorsqu'un bon chretien se voit arrive a
un tel degre de malheur, qu'il ne lui soit plus possible de souffrir la
vie, il doit du moins, pour attenuer son crime, epuiser toutes les
chances qui lui restent avant de prendre un dernier parti.
Au commencement de ce discours, M. Godeau avait suppose qu'on venait lui
emprunter de l'argent, et il avait jete prudemment son mouchoir sur les
sacs places aupres de lui, preparant d'avance un refus poli, car il
avait toujours eu de la bienveillance pour le pere de Croisilles. Mais
quand il eut ecoute jusqu'au bout, et qu'il eut compris de quoi il
s'agissait, il ne douta pas que le pauvre garcon ne fut devenu
completement fou. Il eut d'abord quelque envie de sonner et de le faire
mettre a la porte; mais il lui trouva une apparence si ferme, un visage
si determi
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