loigna a pas lents. Ma mere se releva
tristement, et alla, en boitant, achever de pleurer dans son ecuelle.
Pour moi, confus et desole, je pris mon vol du mieux que je pus, et
j'allai, comme je l'avais annonce, me percher sur la gouttiere d'une
maison voisine.
II
Mon pere eut l'inhumanite de me laisser pendant plusieurs jours dans
cette situation mortifiante. Malgre sa violence, il avait bon coeur, et,
aux regards detournes qu'il me lancait, je voyais bien qu'il aurait
voulu me pardonner et me rappeler; ma mere, surtout, levait sans cesse
vers moi des yeux pleins de tendresse, et se risquait meme parfois a
m'appeler d'un petit cri plaintif; mais mon horrible plumage blanc leur
inspirait, malgre eux, une repugnance et un effroi auxquels je vis bien
qu'il n'y avait point de remede.
--Je ne suis point un merle! me repetais-je; et, en effet, en
m'epluchant le matin et en me mirant dans l'eau de la gouttiere, je ne
reconnaissais que trop clairement combien je ressemblais peu a ma
famille.--O ciel! repetais-je encore, apprends-moi donc ce que je suis!
Une certaine nuit qu'il pleuvait averse, j'allais m'endormir extenue de
faim et de chagrin, lorsque je vis se poser pres de moi un oiseau plus
mouille, plus pale et plus maigre que je ne le croyais possible. Il
etait a peu pres de ma couleur, autant que j'en pus juger a travers la
pluie qui nous inondait; a peine avait-il sur le corps assez de plumes
pour habiller un moineau, et il etait plus gros que moi. Il me sembla,
au premier abord, un oiseau tout a fait pauvre et necessiteux; mais il
gardait, en depit de l'orage qui maltraitait son front presque tondu, un
air deserte qui me charma. Je lui fis modestement une grande reverence,
a laquelle il repondit par un coup de bec qui faillit me jeter a bas de
la gouttiere. Voyant que je me grattais l'oreille et que je me retirais
avec componction sans essayer de lui repondre en sa langue:
--Qui es-tu? me demanda-t-il d'une voix aussi enrouee que son crane
etait chauve.
--Helas! monseigneur, repondis-je (craignant une seconde estocade), je
n'en sais rien. Je croyais etre un merle, mais l'on m'a convaincu que je
n'en suis pas un.
La singularite de ma reponse et mon air de sincerite l'interesserent. Il
s'approcha de moi et me fit conter mon histoire, ce dont je m'acquittai
avec toute la tristesse et toute l'humilite qui convenaient a ma
position et au temps affreux qu'il faisait.
--Si tu etais un ramier comme moi
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