otes et un appendice! Il faut que l'univers apprenne que j'existe. Je
ne manquerai pas, dans mes vers, de deplorer mon isolement; mais ce sera
de telle sorte, que les plus heureux me porteront envie. Puisque le ciel
m'a refuse une femelle, je dirai un mal affreux de celles des autres. Je
prouverai que tout est trop vert, hormis les raisins que je mange. Les
rossignols n'ont qu'a se bien tenir; je demontrerai, comme deux et deux
font quatre, que leurs complaintes font mal au coeur, et que leur
marchandise ne vaut rien. Il faut que j'aille trouver Charpentier. Je
veux me creer tout d'abord une puissante position litteraire. J'entends
avoir autour de moi une cour composee, non pas seulement de
journalistes, mais d'auteurs veritables et meme de femmes de lettres.
J'ecrirai un role pour mademoiselle Rachel, et, si elle refuse de le
jouer, je publierai a son de trompe que son talent est bien inferieur a
celui d'une vieille actrice de province. J'irai a Venise, et je
louerai, sur les bords du grand canal, au milieu de cette cite feerique,
le beau palais Mocenigo, qui coute quatre livres dix sous par jour; la,
je m'inspirerai de tous les souvenirs que l'auteur de _Lara_ doit y
avoir laisses. Du fond de ma solitude, j'inonderai le monde d'un deluge
de rimes croisees, calquees sur la strophe de Spencer, ou je soulagerai
ma grande ame; je ferai soupirer toutes les mesanges, roucouler toutes
les tourterelles, fondre en larmes toutes les becasses, et hurler toutes
les vieilles chouettes. Mais, pour ce qui regarde ma personne, je me
montrerai inexorable et inaccessible a l'amour. En vain me
pressera-t-on, me suppliera-t-on d'avoir pitie des infortunees qu'auront
seduites mes chants sublimes; a tout cela, je repondrai: Foin! O exces
de gloire! mes manuscrits se vendront au poids de l'or, mes livres
traverseront les mers; la renommee, la fortune, me suivront partout;
seul, je semblera! indifferent aux murmures de la foule qui
m'environnera. En un mot, je serai un parfait merle blanc, un veritable
ecrivain excentrique, fete, choye, admire, envie, mais completement
grognon et insupportable.
VII
Il ne me fallut pas plus de six semaines pour mettre au jour mon premier
ouvrage. C'etait, comme je me l'etais promis, un poeme en quarante-huit
chants. Il s'y trouvait bien quelques negligences, a cause de la
prodigieuse fecondite avec laquelle je l'avais ecrit; mais je pensai que
le public d'aujourd'hui, accoutume a la belle litteratu
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