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suffoquaient, elle tomba a terre a demi pamee. Je la vis pres d'expirer;
epouvante et tremblant de peur, je me jetai aux genoux de mon pere.
--O mon pere! lui dis-je, si je siffle de travers, et si je suis mal
vetu, que ma mere n'en soit point punie! Est-ce sa faute si la nature
m'a refuse une voix comme la votre? Est-ce sa faute si je n'ai pas votre
beau bec jaune et votre bel habit noir a la francaise, qui vous donnent
l'air d'un marguillier en train d'avaler une omelette? Si le Ciel a fait
de moi un monstre, et si quelqu'un doit en porter la peine, que je sois
du moins le seul malheureux!
--Il ne s'agit pas de cela, dit mon pere; que signifie la maniere
absurde dont tu viens de te permettre de siffler? qui t'a appris a
siffler ainsi contre tous les usages et toutes les regles?
--Helas! monsieur, repondis-je humblement, j'ai siffle comme je pouvais,
me sentant gai parce qu'il fait beau, et ayant peut-etre mange trop de
mouches.
--On ne siffle pas ainsi dans ma famille, reprit mon pere hors de lui.
Il y a des siecles que nous sifflons de pere en fils, et, lorsque je
fais entendre ma voix la nuit, apprends qu'il y a ici, au premier etage,
un vieux monsieur, et au grenier une jeune grisette, qui ouvrent leurs
fenetres pour m'entendre. N'est-ce pas assez que j'aie devant les yeux
l'affreuse couleur de tes sottes plumes qui te donnent l'air enfarine
comme un paillasse de la foire? Si je n'etais le plus pacifique des
merles, je t'aurais deja cent fois mis a nu, ni plus ni moins qu'un
poulet de basse-cour pret a etre embroche.
--Eh bien! m'ecriai-je, revolte de l'injustice de mon pere, s'il en est
ainsi, monsieur, qu'a cela ne tienne! je me deroberai a votre presence,
je delivrerai vos regards de cette malheureuse queue blanche, par
laquelle vous me tirez toute la journee. Je partirai, monsieur, je
fuirai; assez d'autres enfants consoleront votre vieillesse, puisque ma
mere pond trois fois par an; j'irai loin de vous cacher ma misere, et
peut-etre, ajoutai-je en sanglotant, peut-etre trouverai-je, dans le
potager du voisin ou sur les gouttieres, quelques vers de terre ou
quelques araignees pour soutenir ma triste existence.
--Comme tu voudras, repliqua mon pere, loin de s'attendrir a ce
discours; que je ne te voie plus! Tu n'es pas mon fils; tu n'es pas un
merle.
--Et que suis-je donc, monsieur, s'il vous plait?
--Je n'en sais rien, mais tu n'es pas un merle. Apres ces paroles
foudroyantes, mon pere s'e
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