e, que, pour la premiere fois de sa vie, mon
pere commenca a montrer de la mauvaise humeur. Bien que je ne fusse
encore que d'un gris douteux, il ne reconnaissait en moi ni la couleur,
ni la tournure de sa nombreuse posterite.
--Voila un sale enfant, disait-il quelquefois en me regardant de
travers; il faut que ce gamin-la aille apparemment se fourrer dans tous
les platras et tous les tas de boue qu'il rencontre, pour etre toujours
si laid et si crotte.
--Eh, mon Dieu! mon ami, repondait ma mere, toujours roulee en boule
dans une vieille ecuelle dont elle avait fait son nid, ne voyez-vous pas
que c'est de son age? Et vous-meme, dans votre jeune temps, n'avez-vous
pas ete un charmant vaurien? Laissez grandir notre merlichon, et vous
verrez comme il sera beau; il est des mieux que j'aie pondus.
Tout en prenant ainsi ma defense, ma mere ne s'y trompait pas; elle
voyait pousser mon fatal plumage, qui lui semblait une monstruosite;
mais elle faisait comme toutes les meres qui s'attachent souvent a leurs
enfants par cela meme qu'ils sont maltraites de la nature, comme si la
faute en etait a elles, ou comme si elles repoussaient d'avance
l'injustice du sort qui doit les frapper.
Quand vint le temps de ma premiere mue, mon pere devint tout a fait
pensif et me considera attentivement. Tant que mes plumes tomberent, il
me traita encore avec assez de bonte et me donna meme la patee, me
voyant grelotter presque nu dans un coin; mais des que mes pauvres
ailerons transis commencerent a se recouvrir de duvet, a chaque plume
blanche qu'il vit paraitre, il entra dans une telle colere, que je
craignis qu'il ne me plumat pour le reste de mes jours! Helas! je
n'avais pas de miroir; j'ignorais le sujet de cette fureur, et je me
demandais pourquoi le meilleur des peres se montrait pour moi si
barbare.
Un jour qu'un rayon de soleil et ma fourrure naissante m'avaient mis,
malgre moi, le coeur en joie, comme je voltigeais dans une allee, je me
mis, pour mon malheur, a chanter. A la premiere note qu'il entendit, mon
pere sauta en l'air comme une fusee.
--Qu'est-ce que j'entends-la? s'ecria-t-il; est-ce ainsi qu'un merle
siffle? est-ce ainsi que je siffle? est-ce la siffler?
Et, s'abattant pres de ma mere avec la contenance la plus terrible:
--Malheureuse! dit-il, qui est-ce qui a pondu dans ton nid?
A ces mots, ma mere indignee s'elanca de son ecuelle, non sans se faire
du mal a une patte; elle voulut parler, mais ses sanglots
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