in de poussiere ne l'avait deflore; Julie en fut dans l'admiration.
On envoya chercher un carrosse de louage, le plus beau qui fut dans
toute la ville. La bonne dame prepara le discours qu'elle devait tenir a
M. Godeau; Julie lui apprit de quelle facon il fallait toucher le coeur
de son pere, et n'hesita pas a avouer que la vanite etait son cote
vulnerable.
--Si vous pouviez imaginer, dit-elle, un moyen de flatter ce penchant,
nous aurions partie gagnee.
La bonne dame reflechit profondement, acheva sa toilette sans mot dire,
serra la main de sa future niece, et monta en voiture. Elle arriva
bientot a l'hotel Godeau; la, elle se redressa, si bien en entrant,
qu'elle semblait rajeunie de dix ans. Elle traversa majestueusement le
salon ou etait tombe le bouquet de Julie, et, quand la porte du boudoir
s'ouvrit, elle dit d'une voix ferme au laquais qui la precedait:
--Annoncez la baronne douairiere de Croisilles.
Ce mot decida du bonheur des deux amants; M. Godeau en fut ebloui. Bien
que les cinq cent mille francs lui semblassent peu de chose, il
consentit a tout pour faire de sa fille une baronne, et elle le fut; qui
eut ose lui en contester le titre? A mon avis, elle l'avait bien gagne.
FIN DE CROISILLES.
Cette nouvelle a ete publiee pour la premiere fois dans le numero de la
_Revue des Deux Mondes_ du 15 fevrier 1839.
HISTOIRE
D'UN
MERLE BLANC
1842
I
Qu'il est glorieux, mais qu'il est penible d'etre en ce monde un merle
exceptionnel! Je ne suis point un oiseau fabuleux, et M. de Buffon m'a
decrit. Mais, helas! je suis extremement rare et tres difficile a
trouver. Plut au ciel que je fusse tout a fait impossible!
Mon pere et ma mere etaient deux bonnes gens qui vivaient, depuis nombre
d'annees, au fond d'un vieux jardin retire du Marais. C'etait un menage
exemplaire. Pendant que ma mere, assise dans un buisson fourre, pondait
regulierement trois fois par an, et couvait, tout en sommeillant, avec
une religion patriarcale, mon pere, encore fort propre et fort petulant,
malgre son grand age, picorait autour d'elle toute la journee, lui
apportant de beaux insectes qu'il saisissait delicatement par le bout
de la queue pour ne pas degouter sa femme, et, la nuit venue, il ne
manquait jamais, quand il faisait beau, de la regaler d'une chanson qui
rejouissait tout le voisinage. Jamais une querelle, jamais le moindre
nuage n'avait trouble cette douce union.
A peine fus-je venu au mond
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