cette ville, refuse de nous marier, parce
que votre neveu n'est pas riche. Je ne voudrais pour rien au monde etre
l'occasion d'un scandale, ni causer de la peine a personne; je ne
saurais donc avoir la pensee de disposer de moi sans le consentement de
ma famille. Je viens vous demander une grace que je vous supplie de
m'accorder; il faudrait que vous vinssiez vous-meme proposer ce mariage
a mon pere. J'ai, grace a Dieu, une petite fortune qui est toute a votre
service; vous prendrez, quand il vous plaira, cinq cent mille francs
chez mon notaire, vous direz que cette somme appartient a votre neveu,
et elle lui appartient en effet; ce n'est point un present que je veux
lui faire, c'est une dette que je lui paye, car je suis cause de la
ruine de Croisilles, et il est juste que je la repare. Mon pere ne
cedera pas aisement; il faudra que vous insistiez et que vous ayez un
peu de courage; je n'en manquerai pas de mon cote. Comme personne au
monde, excepte moi, n'a de droit sur la somme dont je vous parle,
personne ne saura jamais de quelle maniere elle aura passe entre vos
mains. Vous n'etes pas tres riche non plus, je le sais, et vous pouvez
craindre qu'on ne s'etonne de vous voir doter ainsi votre neveu; mais
songez que mon pere ne vous connait pas, que vous vous montrez fort peu
par la ville, et que par consequent il vous sera facile de feindre que
vous arrivez de quelque voyage. Cette demarche vous coutera sans doute,
il faudra quitter votre fauteuil et prendre un peu de peine; mais vous
ferez deux heureux, madame, et, si vous avez jamais connu l'amour,
j'espere que vous ne me refuserez pas. La bonne dame, pendant ce
discours, avait ete tour a tour surprise, inquiete, attendrie et
charmee. Le dernier mot la persuada.
--Oui, mon enfant, repeta-t-elle plusieurs fois, je sais ce que c'est,
je sais ce que c'est!
En parlant ainsi, elle fit un effort pour se lever; ses jambes
affaiblies la soutenaient a peine; Julie s'avanca rapidement, et lui
tendit la main pour l'aider; par un mouvement presque involontaire,
elles se trouverent en un instant dans les bras l'une de l'autre. Le
traite fut aussitot conclu; un cordial baiser le scella d'avance, et
toutes les confidences necessaires s'ensuivirent sans peine.
Toutes les explications etant faites, la bonne dame tira de son armoire
une venerable robe de taffetas qui avait ete sa robe de noce. Ce meuble
antique n'avait pas moins de cinquante ans, mais pas une tache, pas un
gra
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