promenee dans sa
chambre, sans oublier ni son cher eventail, ni le coup d'oeil a la glace
en passant, Julie se laissa retomber dans sa bergere. Qui l'eut pu voir
en ce moment eut joui d'un beau spectacle: ses yeux etincelaient, ses
joues etaient en feu; elle poussa un long soupir et murmura avec une
joie et une douleur delicieuses:
--Pauvre garcon! il s'est ruine pour moi!
Independamment de la fortune qu'elle devait attendre de son pere,
mademoiselle Godeau avait, a elle appartenant, le bien que sa mere lui
avait laisse. Elle n'y avait jamais songe; en ce moment, pour la
premiere fois de sa vie, elle se souvint qu'elle pouvait disposer de
cinq cent mille francs. Cette pensee la fit sourire; un projet bizarre,
hardi, tout feminin, presque aussi fou que Croisilles lui-meme, lui
traversa l'esprit; elle berca quelque temps son idee dans sa tete, puis
se decida a l'executer.
Elle commenca par s'enquerir si Croisilles n'avait pas quelque parent
ou quelque ami; la femme de chambre fut mise en campagne. Tout bien
examine, on decouvrit, au quatrieme etage d'une vieille maison, une
tante a demi percluse, qui ne bougeait jamais de son fauteuil, et qui
n'etait pas sortie depuis quatre ou cinq ans. Cette pauvre femme, fort
agee, semblait avoir ete mise ou plutot laissee au monde comme un
echantillon des miseres humaines. Aveugle, goutteuse, presque sourde,
elle vivait seule dans un grenier; mais une gaiete plus forte que le
malheur et la maladie la soutenait a quatre-vingts ans et lui faisait
encore aimer la vie; ses voisins ne passaient jamais devant sa porte
sans entrer chez elle, et les airs surannes qu'elle fredonnait egayaient
toutes les filles du quartier. Elle possedait une petite rente viagere
qui suffisait a l'entretenir; tant que durait le jour, elle tricotait;
pour le reste, elle ne savait pas ce qui s'etait passe depuis la mort de
Louis XIV.
Ce fut chez cette respectable personne que Julie se fit conduire en
secret. Elle se mit pour cela dans tous ses atours; plumes, dentelles,
rubans, diamants, rien ne fut epargne: elle voulait seduire; mais sa
vraie beaute en cette circonstance fut le caprice qui l'entrainait. Elle
monta l'escalier raide et obscur qui menait chez la bonne dame, et,
apres le salut le plus gracieux, elle parla a peu pres ainsi:
--Vous avez, madame, un neveu nomme Croisilles, qui m'aime et qui a
demande ma main; je l'aime aussi et voudrais l'epouser; mais mon pere,
M. Godeau, fermier general de
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