, me dit-il apres m'avoir ecoute, les
niaiseries dont tu t'affliges ne t'inquieteraient pas un moment. Nous
voyageons, c'est la notre vie, et nous avons bien nos amours, mais je ne
sais qui est mon pere. Fendre l'air, traverser l'espace, voir a nos
pieds les monts et les plaines, respirer l'azur meme des cieux, et non
les exhalaisons de la terre, courir comme la fleche a un but marque qui
ne nous echappe jamais, voila notre plaisir et notre existence. Je fais
plus de chemin en un jour qu'un homme n'en peut faire en dix.
--Sur ma parole, monsieur, dis-je un peu enhardi, vous etes un oiseau
bohemien.
--C'est encore une chose dont je ne me soucie guere, reprit-il. Je n'ai
point de pays; je ne connais que trois choses: les voyages, ma femme et
mes petits. Ou est ma femme, la est ma patrie.
--Mais qu'avez-vous la qui vous pend au cou? C'est comme une vieille
papillotte chiffonnee.
--Ce sont des papiers d'importance, repondit-il en se rengorgeant; je
vais a Bruxelles de ce pas, et je porte au celebre banquier *** une
nouvelle qui va faire baisser la rente d'un franc soixante-dix-huit
centimes.
--Juste Dieu! m'ecriai-je, c'est une belle existence que la votre, et
Bruxelles, j'en suis sur, doit etre une ville bien curieuse a voir. Ne
pourriez-vous pas m'emmener avec vous? Puisque je ne suis pas un merle,
je suis peut-etre un pigeon ramier.
--Si tu en etais un, repliqua-t-il, tu m'aurais rendu le coup de bec que
je t'ai donne tout a l'heure.
--Eh bien! monsieur, je vous le rendrai; ne nous brouillons pas pour si
peu de chose. Voila le matin qui parait et l'orage qui s'apaise. De
grace, laissez-moi vous suivre! Je suis perdu, je n'ai plus rien au
monde;--si vous me refusez, il ne me reste plus qu'a me noyer dans
cette gouttiere.
--Eh bien, en route! suis-moi si tu peux.
Je jetai un dernier regard sur le jardin ou dormait ma mere. Une larme
coula de mes yeux; le vent et la pluie l'emporterent. J'ouvris mes ailes
et je partis.
III
Mes ailes, je l'ai dit, n'etaient pas encore bien robustes. Tandis que
mon conducteur allait comme le vent, je m'essoufflais a ses cotes; je
tins bon pendant quelque temps, mais bientot il me prit un eblouissement
si violent, que je me sentis pres de defaillir.
--Y en a-t-il encore pour longtemps? demandai-je d'une voix faible.
--Non, me repondit-il, nous sommes au Bourget; nous n'avons plus que
soixante lieues a faire.
J'essayai de reprendre courage, ne voulant pa
|