a
glace avant de quitter sa chambre. Elle ne montrait ni gout ni aversion
pour les plaisirs qu'aiment ordinairement les jeunes filles; elle allait
volontiers au bal, et elle y renoncait sans humeur, quelquefois sans
motif; le spectacle l'ennuyait, et elle s'y endormait continuellement.
Quand son pere, qui l'adorait, lui proposait de lui faire quelque cadeau
a son choix, elle etait une heure a se decider, ne pouvant se trouver un
desir. Quand M. Godeau recevait ou donnait a diner, il arrivait que
Julie ne paraissait pas au salon: elle passait la soiree, pendant ce
temps-la, seule dans sa chambre, en grande toilette, a se promener de
long en large, son eventail a la main. Si on lui adressait un
compliment, elle detournait la tete, et si on tentait de lui faire la
cour, elle ne repondait que par un regard a la fois si brillant et si
serieux, qu'elle deconcertait le plus hardi. Jamais un bon mot ne
l'avait fait rire; jamais un air d'opera, une tirade de tragedie, ne
l'avaient emue; jamais, enfin, son coeur n'avait donne signe de vie, et,
en la voyant passer dans tout l'eclat de sa nonchalante beaute, on
aurait pu la prendre pour une belle somnambule qui traversait ce monde
en revant.
Tant d'indifference et de coquetterie ne semblait pas aise a comprendre.
Les uns disaient qu'elle n'aimait rien; les autres, qu'elle n'aimait
qu'elle-meme. Un seul mot suffisait cependant pour expliquer son
caractere: elle attendait. Depuis l'age de quatorze ans, elle avait
entendu repeter sans cesse que rien n'etait aussi charmant qu'elle; elle
en etait persuadee; c'est pourquoi elle prenait grand soin de sa parure:
en manquant de respect a sa personne, elle aurait cru commettre un
sacrilege. Elle marchait, pour ainsi dire, dans sa beaute, comme un
enfant dans ses habits de fete; mais elle etait bien loin de croire que
cette beaute dut rester inutile; sous son apparente insouciance se
cachait une volonte secrete, inflexible, et d'autant plus forte qu'elle
etait mieux dissimulee. La coquetterie des femmes ordinaires, qui se
depense en oeillades, en minauderies et en sourires, lui semblait une
escarmouche puerile, vaine, presque meprisable. Elle se sentait en
possession d'un tresor, et elle dedaignait de le hasarder au jeu piece a
piece: il lui fallait un adversaire digne d'elle; mais, trop habituee a
voir ses desirs prevenus, elle ne cherchait pas cet adversaire; on peut
meme dire davantage, elle etait etonnee qu'il se fit attendre. Depuis
qu
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