me preter
seulement cent louis sur cette maison que je ne puis vendre?
Pendant qu'il etait dans cet embarras, il rencontra son brocanteur juif.
Il n'hesita pas a s'adresser a lui, et, en sa qualite d'etourdi, il ne
manqua pas de lui dire dans quelle situation il se trouvait. Le juif
n'avait pas grande envie d'acheter la maison; il n'etait venu la voir
que par curiosite, ou, pour mieux dire, par acquit de conscience, comme
un chien entre en passant dans une cuisine dont la porte est ouverte,
pour voir s'il n'y a rien a voler; mais il vit Croisilles si desespere,
si triste, si denue de toute ressource, qu'il ne put resister a la
tentation de profiter de sa misere, au risque de se gener un peu pour
payer la maison. Il lui en offrit donc a peu pres le quart de ce qu'elle
valait. Croisilles lui sauta au cou; l'appela son ami et son sauveur,
signa aveuglement un marche a faire dresser les cheveux sur la tete, et,
des le lendemain, possesseur de quatre cents nouveaux louis, il se
dirigea de rechef vers le tripot ou il avait ete si poliment et si
lestement ruine la veille.
En s'y rendant, il passa sur le port. Un vaisseau allait en sortir; le
vent etait doux, l'Ocean tranquille. De toutes parts, des negociants,
des matelots, des officiers de marine en uniforme, allaient et venaient.
Des crocheteurs transportaient d'enormes ballots pleins de marchandises.
Les passagers faisaient leurs adieux; de legeres barques flottaient de
tous cotes; sur tous les visages on lisait la crainte, l'impatience ou
l'esperance; et, au milieu de l'agitation qui l'entourait, le majestueux
navire se balancait doucement, gonflant ses voiles orgueilleuses.
--Quelle admirable chose, pensa Croisilles, que de risquer ainsi ce
qu'on possede, et d'aller chercher au dela des mers une perilleuse
fortune! Quelle emotion de regarder partir ce vaisseau charge de tant de
richesses, du bien-etre de tant de familles! Quelle joie de le voir
revenir, rapportant le double de ce qu'on lui a confie, rentrant plus
fier et plus riche qu'il n'etait parti! Que ne suis-je un de ces
marchands! Que ne puis-je jouer ainsi mes quatre cents louis! Quel tapis
vert que cette mer immense, pour y tenter hardiment le hasard! Pourquoi
n'acheterais-je pas quelques ballots de toiles ou de soieries? qui m'en
empeche, puisque j'ai de l'or? Pourquoi ce capitaine refuserait-il de se
charger de mes marchandises? Et qui sait? au lieu d'aller perdre cette
pauvre et unique somme dans un trip
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