oire; elle s'etait, il est vrai, retiree par obeissance
pour son pere; mais, au lieu de regagner sa chambre, elle etait restee a
ecouter derriere la porte. Si l'extravagance de Croisilles lui
paraissait inconcevable, elle n'y voyait du moins rien d'offensant; car
l'amour, depuis que le monde existe, n'a jamais passe pour offense; d'un
autre cote, comme il n'etait pas possible de douter du desespoir du
jeune homme, mademoiselle Godeau se trouvait prise a la fois par les
deux sentiments les plus dangereux aux femmes, la compassion et la
curiosite. Lorsqu'elle vit l'entretien termine et Croisilles pret a
sortir, elle traversa rapidement le salon ou elle se trouvait, ne
voulant pas etre surprise aux aguets, et elle se dirigea vers son
appartement; mais presque aussitot elle revint sur ses pas. L'idee que
Croisilles allait peut-etre reellement se donner la mort lui troubla le
coeur malgre elle. Sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, elle
marcha a sa rencontre; le salon etait vaste, et les deux jeunes gens
vinrent lentement au-devant l'un de l'autre. Croisilles etait pale comme
la mort, et mademoiselle Godeau cherchait vainement quelque parole qui
put exprimer ce qu'elle sentait. En passant a cote de lui, elle laissa
tomber a terre un bouquet de violettes qu'elle tenait a la main. Il se
baissa aussitot, ramassa le bouquet et le presenta a la jeune fille pour
le lui rendre; mais, au lieu de le reprendre, elle continua sa route
sans prononcer un mot, et entra dans le cabinet de son pere. Croisilles,
reste seul, mit le bouquet dans son sein, et sortit de la maison le coeur
agite, ne sachant trop que penser de cette aventure.
III
A peine avait-il fait quelques pas dans la rue, qu'il vit accourir son
fidele Jean, dont le visage exprimait la joie.
--Qu'est-il arrive? lui demanda-t-il; as-tu quelque nouvelle a
m'apprendre?
--Monsieur, repondit Jean, j'ai a vous apprendre que les scelles sont
leves, et que vous pouvez rentrer chez vous. Toutes les dettes de votre
pere payees, vous restez proprietaire de la maison. Il est bien vrai
qu'on a emporte tout ce qu'il y avait d'argent et de bijoux, et qu'on a
meme enleve les meubles; mais enfin la maison vous appartient, et vous
n'avez pas tout perdu. Je cours partout depuis une heure, ne sachant ce
que vous etiez devenu, et j'espere, mon cher maitre, que vous serez
assez sage pour prendre un parti raisonnable.
--Quel parti veux-tu que je prenne?
--Vendre cette mai
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