ne, qu'il eut pitie d'une demence si tranquille. Il se
contenta de dire a sa fille de se retirer, afin de ne pas l'exposer plus
longtemps a entendre de pareilles inconvenances.
Pendant que Croisilles avait parle, mademoiselle Godeau etait devenue
rouge comme une peche au mois d'aout. Sur l'ordre de son pere, elle se
retira. Le jeune homme lui fit un profond salut dont elle ne sembla pas
s'apercevoir. Demeure seul avec Croisilles, M. Godeau toussa, se
souleva, se laissa retomber sur ses coussins, et s'efforcant de prendre
un air paternel:
--Mon garcon, dit-il, je veux bien croire que tu ne te moques pas de moi
et que tu as reellement perdu la tete. Non seulement j'excuse ta
demarche, mais je consens a ne point t'en punir. Je suis fache que ton
pauvre diable de pere ait fait banqueroute et qu'il ait decampe; c'est
fort triste, et je comprends assez que cela t'ait tourne la cervelle. Je
veux faire quelque chose pour toi; prends un pliant et assieds-toi la.
--C'est inutile, monsieur, repondit Croisilles; du moment que vous me
refusez, je n'ai plus qu'a prendre conge de vous. Je vous souhaite
toutes sortes de prosperites.
--Et ou t'en vas-tu?
--Ecrire a mon pere et lui dire adieu.
--Eh, que diantre! on jurerait que tu dis vrai; tu vas te noyer, ou le
diable m'emporte.
--Oui, monsieur; du moins je le crois, si le courage ne m'abandonne pas.
--La belle avance! fi donc! quelle niaiserie! Assieds-toi, te dis-je, et
ecoute-moi.
M. Godeau venait de faire une reflexion fort juste, c'est qu'il n'est
jamais agreable qu'on dise qu'un homme, quel qu'il soit, s'est jete a
l'eau en nous quittant. Il toussa donc de nouveau, prit sa tabatiere,
jeta un regard distrait sur son jabot, et continua.
--Tu n'es qu'un sot, un fou, un enfant, c'est clair, tu ne sais ce que
tu dis. Tu es ruine, voila ton affaire. Mais, mon cher ami, tout cela ne
suffit pas; il faut reflechir aux choses de ce monde. Si tu venais me
demander... je ne sais quoi, un bon conseil, eh bien! passe; mais
qu'est-ce que tu veux? tu es amoureux de ma fille?
--Oui, monsieur, et je vous repete que je suis bien eloigne de supposer
que vous puissiez me la donner pour femme; mais comme il n'y a que cela
au monde qui pourrait m'empecher de mourir, si vous croyez en Dieu,
comme je n'en doute pas, vous comprendrez la raison qui m'amene.
--Que je croie en Dieu ou non, cela ne te regarde pas, je n'entends pas
qu'on m'interroge; reponds d'abord: Ou as-tu vu ma fi
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