donnoit toujours le tort.
Cependant il estoit le plus fin, & le plus avise de tous ses freres, &
s'il parloit peu, il ecoutait beaucoup. Il vint une annee tres-facheuse,
& la famine fut si grande, que ces pauvres gens resolurent de se
deffaire de leurs enfans. Un soir que ces enfans estoient couchez, & que
le Bucheron estoit aupres du feu avec sa femme, il luy dit, le coeur
serre de douleur? Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourir nos
enfans: je ne scaurois les voir mourir de faim devant mes yeux, & je
suis resolu de les mener perdre demain au bois, ce qui sera bien aise,
car tandis qu'ils s'amuseront a fagoter, nous n'avons qu'a nous enfuir
sans qu'ils nous voyent. Ah! s'ecria la Bucheronne, pourrois-tu bien
toy-meme mener perdre tes enfans? Son mary avoit beau luy representer
leur grande pauvrete, elle ne pouvoit y consentir; elle estoit pauvre,
mais elle estoit leur mere: Cependant ayant considere quelle douleur ce
luy seroit de les voir mourir de faim, elle y consentit, & alla se
coucher en pleurant. Le petit Poucet oueit tout ce qu'ils dirent, car
ayant entendu de dedans son lit qu'ils parloient d'affaires, il s'estoit
leve doucement, & s'estoit glisse sous l'escabelle de son pere pour les
ecouter sans estre vu. Il alla se recoucher & ne dormit point le reste
de la nuit, songeant a ce qu'il avoit a faire. Il se leva de bon matin,
& alla au bord d'un ruisseau, ou il emplit ses poches de petits cailloux
blancs, & ensuite revint a la maison. On partit, & le petit Poucet ne
decouvrit rien de tout ce qu'il scavoit a ses freres. Ils allerent dans
une forest fort epaisse, ou a dix pas de distance on ne se voyoit pas
l'un l'autre. Le Bucheron se mit a couper du bois & ses enfans a
ramasser les broutilles pour faire des fagots. Le pere & la mere les
voyant ocupez a travailler, s'eloignerent d'eux insensiblement, & puis
s'enfuirent tout a coup par un petit sentier detourne. Lors que ces
enfans se virent seuls, ils se mirent a crier & a pleurer de toute leur
force. Le petit Poucet les laissoit crier, scachant bien par ou il
reviendroit a la maison; car en marchant il avoit laisse tomber le long
du chemin les petits cailloux blancs qu'il avoit dans ses poches. Il
leur dit donc, ne craignez-point mes freres, mon Pere & ma Mere nous ont
laissez icy, mais je vous remeneray bien au logis, suivez-moy seulement,
ils le suivirent, & il les mena jusqu'a leur maison par le meme chemin
qu'ils estoient venus dans la forest. Ils n'ose
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