, c'est que cette fable, de meme
que la plupart de celles qui nous restent des anciens, n'ont ete faites
que pour plaire, sans egard aux bonnes moeurs, qu'ils negligeoient
beaucoup.
Il n'en est pas de meme des Contes que nos aieux ont inventes pour leurs
enfants. Ils ne les ont pas contes avec l'elegance et les agrements dont
les Grecs et les Romains ont orne leurs fables; mais ils ont toujours eu
un tres-grand soin que leurs contes renfermassent une morale louable et
instructive. Partout la vertu y est recompensee, et partout le vice y
est puni. Ils tendent tous a faire voir l'avantage qu'il y a d'etre
honnete, patient, avise, laborieux, obeissant, et le mal qui arrive a
ceux qui ne le sont pas.
Tantot ce sont des fees qui donnent pour don a une jeune fille qui leur
aura repondu avec civilite, qu'a chaque parole qu'elle dira, il lui
sortira de la bouche un diamant ou une perle; et, a une autre fille qui
leur aura repondu brutalement, qu'a chaque parole il lui sortira de la
bouche une grenouille ou un crapaud. Tantot ce sont des enfants qui,
pour avoir bien obei a leur pere et a leur mere, deviennent grands
seigneurs; ou d'autres qui, ayant ete vicieux et desobeissans, sont
tombes dans des malheurs epouvantables.
Quelque frivoles et bizarres que soient toutes ces fables dans leurs
aventures, il est certain qu'elles excitent dans les enfants le desir de
ressembler a ceux qu'ils voient devenir heureux, et en meme temps la
crainte des malheurs ou les mechans sont tombes par leur mechancete.
N'est-il pas louable a des peres et a des meres, lorsque leurs enfants
ne sont pas encore capables de gouter les verites solides et denuees de
tout agrement, de les leur faire aimer, et, si cela se peut dire, de les
leur faire avaler, en les enveloppant dans des recits agreables et
proportionnes a la foiblesse de leur age! Il n'est pas croyable avec
quelle avidite ces ames innocentes, et dont rien n'a encore corrompu la
droiture naturelle, recoivent ces instructions cachees; on les voit dans
la tristesse et dans l'abattement tant que le heros ou l'heroine du
conte sont dans le malheur, et s'ecrier de joie quand le temps de leur
bonheur arrive; de meme qu'apres avoir souffert impatiemment la
prosperite du mechant ou de la mechante, ils sont ravis de les voir
enfin punis comme ils le meritent. Ce sont des semences qu'on jette, qui
ne produisent d'abord que des mouvements de joie et de tristesse, mais
dont il ne manque guere d'eclore
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