Mais va tirer du vin derriere ces fagots.
A son retour il but, &, gouetant a son aise
Pres d'un grand feu la douceur du repos,
Il dit, en s'appuyant sur le dos de sa chaise,
Pendant que nous avons une si bonne braise,
Une aune de Boudin viendroit bien a propos.
A peine acheva-t-il de prononcer ces mots,
Que sa Femme apperceut, grandement etonnee,
Un Boudin fort long, qui partant
D'un des coins de la cheminee,
S'approchoit d'elle en serpentant.
Elle fit un cri dans l'instant,
Mais jugeant que cette avanture
Avoit pour cause le souhait
Que par betise toute pure
Son homme imprudent avoit fait,
Il n'est point de pouille, ni d'injure,
Que de depit & de couroux
Elle ne dit a son Epoux.
Quand on peut, disoit-elle, obtenir un Empire,
De l'or, des Perles, des Rubis,
Des Diamans, de beaux Habits,
Est-ce alors du Boudin qu'il faut que l'on desire?
Eh bien, j'ai tort, dit-il, j'ai mal place mon choix.
J'ai commis une faute enorme,
Je ferai mieux une autrefois.
Bon, bon, dit-elle, attendez-moi sous l'orme.
Pour faire un tel souhait, il faut etre bien Boeuf.
L'Epoux plus d'une fois emporte de colere
Pensa faire tout bas le souhait d'etre Veuf,
Et peut-etre entre nous ne pouvoit-il mieux faire.
Les hommes, disoit-il, pour souffrir sont bien nez.
Peste soit du Boudin, & du Boudin encore.
Plut a Dieu, maudite Pecore,
Qu'il te pendit au bout du nez!
La Priere aussitot du Ciel fut ecoutee,
Et des que le Mari la parole lacha
Au nez de l'Epouse irritee
L'Aune de Boudin s'attacha.
Ce prodige impreveu grandement le facha.
La Femme etoit jolie, elle avoit bonne grace,
Et pour dire sans fard la verite du fait,
Cet ornement en cette place
Ne faisoit pas un bon effet,
Si ce n'est qu'en pendant sur le bas du visage
Et lui fermant la bouche a tout moment
Il l'empechoit de parler aisement,
Pour un Epoux merveilleux avantage.
Je pourrois bien, disoit-il a part soi
Pour me dedommager d'un malheur si funeste,
Avec le souhait qui me reste
Tout d'un plein saut me faire Roi,
Rien n'egale, il est vrai, la grandeur Souveraine,
Mais encore faut-il songer
Comment seroit faite la Reine,
Et dans quelle douleur ce seroit la plonger,
De l'aller placer sur un Trone
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