severance de son Amant, sur sa
discretion, & sur toutes les bonnes qualitez de son ame & de son esprit,
ne vit plus la difformite de son corps, ny la laideur de son visage, que
sa bosse ne luy sembla plus que le bon air d'un homme qui fait le gros
dos; & qu'au lieu que jusqu'a lors elle l'avoit vu boiter
effroyablement, elle ne luy trouva plus qu'un certain air penche qui la
charmoit; ils disent encore que ses yeux qui estoient louches, ne luy en
parurent que plus brillans, que leur dereglement passa dans son esprit
pour la marque d'un violent excez d'amour, & qu'enfin son gros nez rouge
eut pour elle quelque chose de Martial et d'Heroique. Quoyqu'il en soit,
la Princesse luy promit sur le champ de l'epouser, pourvu qu'il en
obtint le consentement du Roy son Pere. Le Roy ayant scu que sa fille
avoit beaucoup d'estime pour Riquet a la houppe, qu'il connoissoit
d'ailleurs pour un Prince tres-spirituel & tres-sage, le receut avec
plaisir pour son gendre. Des le lendemain les nopces furent faites,
ainsi que Riquet a la houppe l'avoit prevu, & selon les ordres qu'il en
avoit donnez longtemps auparavant.
MORALITE.
_Ce que l'on voit dans cet ecrit,
Est moins un conte en l'air que la verite meme;
Tout est beau dans ce que l'on aime,
Tout ce qu'on aime a de l'esprit._
Autre Moralite.
_Dans un objet ou la Nature,
Aura mis de beaux traits, & la vive peinture
D'un teint ou jamais l'Art ne scauroit arriver,
Tous ces dons pourront moins pour rendre un coeur sensible,
Qu'un seul agrement invisible,
Que l'Amour y fera trouver._
LE PETIT
POUCET
_CONTE._
Il estoit une fois un Bucheron & une Bucheronne, qui avoient sept enfans
tous Garcons. L'aine n'avoit que dix ans, & le plus jeune n'en avoit que
sept. On s'estonnera que le Bucheron ait eu tant d'enfans en si peu de
temps; mais c'est que sa femme alloit viste en besongne, & n'en faisoit
pas moins que deux a la fois. Ils estoient fort pauvres, & leur sept
enfans les incommodoient beaucoup, parce qu'aucun d'eux ne pouvoit
encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinoit encore, c'est que le plus
jeune estoit fort delicat, & ne disoit mot, prenant pour bestise, ce qui
estoit une marque de la bonte de son esprit: il estoit fort petit, &
quand il vint au monde il n'estoit gueres plus gros que le pouce, ce qui
fit que l'on l'appella le petit Poucet. Ce pauvre enfant estoit le
souffre douleurs de la maison, & on luy
|