ne s'en faisait pas moins d'une maniere presque ouverte. Le louis se
vendait 160 livres en papier, et dans l'espace d'une heure on le faisait
varier de 160 a 200, et meme 210 livres.
Ainsi une disette affreuse de pain, un manque absolu de moyens de
chauffage par un froid qui etait rigoureux encore au milieu du
printemps, un rencherissement excessif de toutes les marchandises,
l'impossibilite d'y atteindre avec un papier qui perdait tous les jours;
au milieu de ces maux un agiotage effrene, accelerant la depreciation
des assignats par ses speculations, et donnant le spectacle d'un jeu
scandaleux, et quelquefois de fortunes subites a cote de la misere
generale, tel etait le vaste sujet de griefs offert aux patriotes pour
soulever le peuple. Il importait, et pour soulager les malheurs publics,
et pour empecher un soulevement, de faire disparaitre de tels griefs;
mais c'etait la l'eternelle difficulte.
Le moyen juge indispensable, comme on l'a vu, etait de relever les
assignats en les retirant; mais pour les retirer il fallait vendre les
biens, et on ne voulait pas s'apercevoir du veritable obstacle, la
difficulte de fournir aux acquereurs la faculte de payer un tiers du
territoire. On avait rejete les moyens violens, c'est-a-dire la
demonetisation et l'emprunt force; on hesitait entre les deux moyens
volontaires, c'est-a-dire, entre une loterie et une banque. La
proscription de Cambon decida la preference en faveur du projet
Johannot, qui avait propose la banque. Mais en attendant qu'on put faire
reussir ce moyen chimerique, qui, meme en reussissant, ne pouvait jamais
ramener les assignats au pair de l'argent, le plus grand mal, celui
d'une difference entre la valeur nominale et la valeur reelle, existait
toujours. Ainsi le creancier de l'etat ou des particuliers recevait
l'assignat au pair, et ne pouvait le placer que pour un dixieme tout au
plus. Les proprietaires qui avaient afferme leurs terres ne recevaient
que le dixieme du fermage. On avait vu des fermiers acquitter le prix de
leur bail avec un sac de ble, un cochon engraisse, ou un cheval. Le
tresor surtout faisait une perte qui contribuait a la ruine des
finances, et par suite, du papier lui-meme. Il recevait du contribuable
l'assignat a sa valeur nominale, et touchait par mois une cinquantaine
de millions, qui en valaient cinq tout au plus. Pour suppleer a ce
deficit, et pour couvrir les depenses extraordinaires de la guerre, il
etait oblige d'emettre jusqu'a
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