meme. Tout changement trop
brusque dans les valeurs amene les speculations hasardeuses,
c'est-a-dire l'agiotage; et comme ce changement n'a jamais lieu que par
l'effet d'un desordre ou politique ou financier, que par consequent la
production souffre, que l'industrie et le commerce sont ralentis, ce
genre de speculations est presque le seul qui reste; alors, au lieu de
fabriquer ou de transporter de nouvelles marchandises, on se hate de
speculer sur les variations de prix de celles qui existent. Au lieu de
produire, on parie sur ce qui est produit. L'agiotage, qui etait devenu
si grand aux mois d'avril, mai et juin 1793, lorsque la defection de
Dumouriez, le soulevement de la Vendee et la coalition federaliste
determinerent une baisse si considerable dans les assignats, venait de
reparaitre plus actif que jamais en germinal, floreal et prairial an III
(avril et mai 95). Ainsi, aux horreurs de la disette se joignait le
scandale d'un jeu effrene, qui contribuait encore a augmenter le
rencherissement des marchandises et la depreciation du papier. Le
procede des joueurs etait le meme qu'en 93, le meme qu'il est toujours.
Ils achetaient des marchandises qui, haussant par rapport a l'assignat
avec une rapidite singuliere, augmentaient de prix dans leurs mains, et
leur procuraient en peu d'instans des profits considerables. Tous les
voeux et tous les efforts tendaient ainsi a la chute du papier. Il y
avait des objets qui etaient vendus et revendus des milliers de fois,
sans changer de place. On speculait meme, suivant l'usage, sur ce qu'on
n'avait pas. On achetait une marchandise d'un vendeur qui ne la
possedait point, mais qui devait la livrer a un terme fixe: au terme
echu, le vendeur ne la livrait pas, mais il payait la difference du prix
d'achat au prix du jour, si la marchandise avait hausse; il recevait
cette difference si la marchandise avait baisse. C'est au Palais-Royal,
deja si coupable aux yeux du peuple comme renfermant la jeunesse doree,
que se rassemblaient les agioteurs. On ne pouvait le traverser sans etre
poursuivi par des marchands qui portaient a la main des etoffes, des
tabatieres d'or, des vases d'argent, de riches quincailleries. C'est au
cafe de Chartres que se reunissaient tous les speculateurs sur les
matieres metalliques. Quoique l'or et l'argent ne fussent plus
consideres comme marchandise, et que depuis 93 il y eut defense, sous
des peines tres-severes, de les vendre contre des assignats, le commerce
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