on qui s'offre est si
naive que j'ose a peine l'exprimer. Mme Sand voit la nature, elle la
regarde, elle ne l'invente pas. La preuve en est dans la nettete des
details et de l'ensemble, qui fait voir exactement ce qu'elle voit
elle-meme. La pensee du lecteur reconstruit avec facilite les grandes
scenes qu'a decrites son ample et souple pinceau. J'ai trouve
l'explication de cet effet si simple, et pourtant si rare, dans ces
lignes jetees au bas d'une page perdue: "Il est certain, dit Mme Sand,
que ce qu'on voit ne vaut pas toujours ce qu'on reve. Mais cela n'est
vrai qu'en fait d'art et d'oeuvre humaine. Quant a moi, soit que j'aie
l'imagination paresseuse a l'ordinaire, soit que Dieu ait plus de talent
que moi (ce qui ne serait pas impossible), j'ai le plus souvent trouve
la nature infiniment plus belle que je ne l'avais prevu, et je ne me
souviens pas de l'avoir trouvee maussade, si ce n'est a des heures ou je
l'etais moi-meme." Le trait propre de Mme Sand, c'est precisement
d'avoir une imagination qui ne precede pas son regard, qui ne deflore
pas son plaisir, qui n'interpose pas les jeux d'un prisme personnel
entre elle et la nature. Elle voit la nature telle qu'elle est,
longuement, profondement. Elle garde grave en traits indelebiles le
tableau qui a passe sous ses yeux, elle le conserve inaltere. On
pourrait dire qu'elle apporte plus de memoire imaginative que
d'imagination dans ses souvenirs et ses visions de la realite. C'est
meme cette absence d'un brillant defaut qui donne aux traits de son
paysage une si lumineuse precision. Un des grands peintres de son temps,
M. de Lamartine, avait trop de splendeurs dans son ame pour bien voir au
dehors. Je parierais qu'il trouvait toujours la nature moins belle qu'il
ne l'avait prevu. L'eclat de son reve eclipsait la realite tant qu'elle
etait sous ses yeux, et, plus tard, quand il voulait revoir dans son
souvenir le paysage entrevu, quand il voulait le peindre, c'etait encore
son imagination qui travaillait autant que sa memoire. Sa peinture etait
splendide, mais confuse; elle avait la mobilite scintillante d'un
rayonnement; le regard ebloui ne pouvait ni s'y fixer ni en rien saisir
avec tranquillite.
L'art fatigue a la longue l'esprit. La nature le repose et le recree
sans cesse. Quand Mme Sand voyageait en Italie, son compagnon de voyage,
Alfred de Musset, n'etait avide que de _marbres tailles_. "Quel est
donc, disait-on de lui, ce jeune homme qui s'inquiete tant de la
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