a ce don naturel se joignait une culture tres
variee, tres etendue. Elle avait beaucoup lu, et, bien qu'elle l'eut
fait a tort et a travers, il lui etait reste de ces etudes diverses des
alluvions assez riches qui, melees a son propre fonds, l'enrichissaient
singulierement et aidaient a sa fecondite. Personne n'a mieux compris
qu'elle et mieux exprime la necessite de l'etude pour l'art. "Je ne sais
rien, disait-elle; mais cependant il me reste quelque chose d'avoir
beaucoup lu et beaucoup appris.... Je ne sais rien, parce que je n'ai
plus de memoire; mais j'ai beaucoup appris, et a dix-sept ans je passais
mes nuits a apprendre. Si les choses ne sont pas restees en moi a l'etat
distinct, elles ont fait tout de meme leur miel dans mon esprit." Nous
avons vu, en effet, dans l'_Histoire de ma vie_, combien de lectures
elle avait traversees au hasard, mais non sterilement, puisque de chaque
auteur, poete, philosophe, publiciste, Byron, Goethe, Leibniz et
Rousseau, il etait reste quelque parcelle qui roulait un peu confusement
dans le vaste et puissant courant de sa vie cerebrale. Elle ne cessait
de recommander cette methode aux dilettantes, aux amateurs, ou bien
encore aux jeunes paresseux qui s'adressaient a elle, comme a une
conseillere commode qui allait leur dire: "Vous avez du genie; fiez-vous
a lui et marchez sans crainte". C'est ce que repondent d'ordinaire les
grands avocats consultants de la gloire a tous les solliciteurs qui les
importunent et a qui ils envoient bien vite, pour s'en debarrasser,
quelque compliment stereotype, avec leur benediction litteraire. George
Sand s'abstenait de payer en ce genre de monnaie banale les jeunes
aspirants a l'art: "Vous voulez etre litterateur, ecrivait-elle a l'un
d'eux, je le sais bien. Je vous ai dit: Vous pouvez l'etre si vous
apprenez tout. L'art n'est pas un don qui puisse se passer d'un savoir
etendu dans tous les sens.... Vous pouvez etre frappe du manque de
solidite de la plupart des ecrits et des productions actuelles: tout
vient du manque d'etude. Jamais un bon esprit ne se formera s'il n'a pas
vaincu les difficultes de toute espece de travail, ou au moins de
certains travaux qui exigent la tension de la volonte." Elle est
implacable, pour ceux a qui elle s'interesse, sur cette hygiene
preparatoire de la volonte qui ne conduit pas a l'erudition proprement
dite, mais qui developpe une aptitude speciale a tout comprendre, le
jour ou il le faudra et ou l'ecrivain le voudra
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