tente et la force scenique, la _vis dramatica_
predestinee a de si grands succes qu'elle se faisait gloire d'avoir
devines: "Vous souvenez-vous que je vous ai dit, apres _Diane de Lys_,
que vous les enterreriez tous!... Je m'en souviens, moi, parce que mon
impression etait d'une force et d'une certitude completes. Vous aviez
l'air de ne pas vous en douter, vous etiez si jeune! Je vous ai
peut-etre revele a vous-meme, et c'est une des bonnes choses que j'ai
faites en ma vie."
Elle qui avait tant de soucis pour transformer ses romans en pieces et
qui, d'ailleurs, ne se piquait pas d'une grande science des agencements
sceniques, elle etait frappee de cette franchise d'allure, de cet accent
de verite forte dans les situations et les sentiments ou _les autres_
n'echappent pas a la convention. "Et quels progres depuis ce temps-la!
Vous etes arrive a savoir ce que vous faites et a imposer votre volonte
au public. Vous irez plus loin encore, et toujours plus loin[24]."
Cette aimable prophetie qu'elle lui envoyait avec ses benedictions
maternelles, c'est au public a dire si elle s'est realisee.
Si je voulais definir l'esprit de George Sand, en dehors des episodes et
des aventures de sa vie litteraire, je dirais que c'etait un esprit
dogmatique et passionne. Dogmatique, en ce sens qu'elle avait des
convictions fermes sur des choses fondamentales. Il faut distinguer la
valeur des idees et la foi aux idees. Quelle que fut la valeur des
siennes, elle y croyait fortement, elle les prenait fort au serieux;
elle ne permettait pas qu'en quelque milieu que ce fut, sceptique ou
gouailleur, on en plaisantat; elle y subordonnait instinctivement la
meilleure partie d'elle-meme, son art. Or les idees ont une telle force
en soi, que, fussent-elles contestables, elles communiquent quelque
chose de cette force aux esprits qui s'en nourrissent; elles lui donnent
un caractere d'elevation et de generosite en comparaison de ceux qui se
font une sorte d'esthetique de l'indifference absolue. C'est la le
secret de cette superiorite qu'elle semble avoir conservee dans sa
longue correspondance avec Flaubert, ou furent abordees quelques-unes
des plus delicates questions de la litterature, ou purent se controler
reciproquement deux manieres tout a fait diverses et presque opposees de
concevoir l'art.
Cette controverse amicale dura pres de douze annees, de 1864 a 1876.
Comment etait nee cette amitie litteraire entre deux personnages si
differents, il
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