importe peu; sans doute ils se rencontrerent un jour a ce
fameux diner Magny ou George Sand ne manquait pas de paraitre, quand
elle passait par Paris, ne fut-ce que pour reprendre langue dans ce pays
des lettres qu'elle oubliait dans les longs sejours de Nohant. Apres
cette rencontre, plus ou moins fortuite, Flaubert avait applaudi de
toutes ses forces a la premiere representation de _Villemer_, et George
Sand, reconnaissante, lui ecrivait "qu'elle l'aimait de tout son coeur".
La connaissance etait faite; les lettres devinrent de plus en plus
frequentes; elles devaient durer autant que la vie de George Sand. Elle
avait admire _Madame Bovary_; pour _Salammbo_, elle avait tout de suite
vu le defaut de la cuirasse. "Ouvrage tres fort, tres beau, disait-elle,
mais qui n'a vraiment d'interet que pour les artistes et les erudits.
Ils le discutent d'autant plus, mais ils le lisent, tandis que le public
se contente de dire: "C'est peut-etre superbe, mais les gens de ce
temps-la ne m'interessent pas du tout[25]."
Elle avait laisse, sans doute, percer quelque chose de cette impression
en causant avec Flaubert, qui, de son cote, avait plaisante, parait-il,
"le vieux troubadour de pendule d'auberge, qui toujours chante et
chantera le parfait amour". Troubadour, le nom plait a George Sand,
elle l'adopte en riant et se designe ainsi elle-meme depuis ce jour-la.
L'artiste et le troubadour, c'etait bien la l'opposition des deux
auteurs, caracterisee par deux mots pittoresques, et ce fut l'occasion
toute naturelle de la controverse. Il est assez vraisemblable qu'avant
cette epoque George Sand, bien qu'elle eut souvent touche en passant a
ce sujet de l'art, n'avait jamais porte sa reflexion sur son art
personnel, qu'elle ne s'etait jamais rendu un compte bien exact ni de
ses procedes de compositions ni du but qu'elle poursuivait. Elle avait
en cela, comme en autre chose, obei a ses instincts et particulierement
a cette vocation d'ecrire pour raconter et pour peindre, qui s'exprimait
chez elle avec une force irresistible et une facilite qui tenait du
prodige. Ce qui l'amena a reflechir sur ces sujets et a se definir
elle-meme, ce fut le spectacle des tendances et des richesses contraires
qui surgissaient autour d'elle, et la comparaison des talents les plus
divers qui s'imposait a elle. Le realisme ne faisait que commencer; elle
put a peine connaitre le premier grand succes de M. Zola. Mais Flaubert,
mais Jules et Edmond de Goncourt revel
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