isais moi-meme, ce qui me donna une idee
tres favorable de sa nature litteraire, avide de verite et assez forte
pour resister aux tentations subalternes de la flatterie. En reveillant
mes souvenirs et les completant par les nombreuses confidences qui
remplissent ses lettres les plus interessantes, je suis arrive a me
faire une idee assez exacte de sa methode de travail et de ses idees
sur les conditions et les exigences de son art, qu'elle portait a l'etat
d'instinct jusqu'au jour ou, dans une discussion celebre, il fallut en
trouver l'expression claire et la formule definitive.
Il semble bien que c'etait le plaisir d'ecrire qui l'entrainait, presque
sans premeditation, a jeter un peu confusement sur le papier ses reves,
ses tendresses, ses meditations et ses chimeres, sous une forme concrete
et vivante.
Pour se rendre compte de cette facilite presque incroyable d'ecrire, il
fallait se rappeler qu'il y avait en elle, avec le don naturel que rien
ne remplace, ce fonds d'experience et de connaissances acquises, qui
multiplie les ressources du talent et permet de le varier, non sans le
fatiguer sans doute, mais sans l'epuiser jamais.--Le don de nature se
constate et ne s'analyse guere. Comment expliquer avec precision ce fait
extraordinaire d'une imagination qui s'eprend avec ardeur de ses propres
creations, d'une faculte d'expression qui se trouve un jour toute prete,
sans avoir ete preparee, qui s'adapte presque sans tatonnement et sans
effort aux sujets les plus divers, a l'analyse et a l'action, comme si
l'auteur ne trouvait rien de plus aise et de plus naturel que de
raconter ses visions interieures et de faire voir aux autres les
personnages et les drames qui s'agitent en lui a l'aide d'un style qui
n'est que sa pensee devenue visible? C'est la le don, il existe, et l'on
trouve de ces esprits predestines qui se jouent des difficultes de
l'expression avec une aisance lumineuse et une liberte pleine de grace,
tandis que d'autres ecrivains, artistes profonds, mais laborieux, se
travaillent eux-memes et fatiguent leur intelligence pour accomplir leur
oeuvre, non certes sans succes, mais avec un effort qui laisse sa trace
dans chaque page, dans chaque phrase, dans chaque mot. Le sillon est
creuse profondement, mais le lecteur semble y avoir collabore lui-meme.
De la, selon les degres ou se place l'ecrivain, une estime ou une
admiration qui n'est pas exempte d'un certain sentiment de lassitude.
Mais chez George Sand,
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