.... Ca
n'a pas ete toujours si bien que ca. Il a eu la betise d'etre jeune,
mais comme il n'a pas fait de mal, ni connu les mauvaises passions, ni
vecu pour la vanite, il a le bonheur d'etre paisible et de s'amuser de
tout."
A cette date ou je la rencontrai a Nohant, elle arrivait chargee de
plantes recueillies sur les bords de la Mediterranee et dans la Savoie.
Elle s'effrayait du rangement qu'elle avait a faire dans ses herbes, et
de fait elle se livra presque tout le jour a ce travail, en causant.
Mais il y avait un bien autre rangement a faire dans la maison. Le
cabinet de travail etait affreux, et rien qu'a le voir, il donnait le
spleen. On en arrangeait un autre, ou George Sand comptait travailler
avec plaisir. En attendant, son atelier de travail etait sa chambre a
coucher. Elle me montra sur une table tres simple une pile de grandes
feuilles de papier bleu, coupees d'avance dans le format in-quarto.
"Quand vous partirez ce soir, me dit-elle, je me mettrai a l'ouvrage, et
je ne me coucherai que quand j'aurai rempli douze de ces pages." C'etait
la tache quotidienne: le travail etait ainsi regle d'avance; elle
comptait sur l'exactitude de son inspiration, qui ne lui faisait presque
jamais defaut.
Ce fut pour moi une occasion presque inesperee de faire connaissance
intime avec son procede de travail, dont les resultats m'avaient
toujours etonne par leur abondance non moins que par leur exacte
regularite. A cette epoque de sa vie, elle faisait au moins son petit
roman tous les ans, avec une piece de theatre. "Ne voyez en moi qu'un
vieux troubadour retire des affaires, qui chante de temps en temps sa
romance a la lune, sans grand souci de bien ou de mal chanter, pourvu
qu'il dise le motif qui lui trotte dans la tete, et qui, le reste du
temps, flane delicieusement."
J'avais etudie avec soin son oeuvre; deux caracteres m'avaient frappe:
l'etonnante facilite du talent, poussee jusqu'a la negligence, et
l'absence trop visible de composition dans ses meilleurs romans. Elle
s'apercut clairement que meme au point de vue purement litteraire, en
dehors des questions de fond, pendant que je lui parlais de mes
impressions, j'y mettais des reserves. Elle parut mecontente, non que je
fisse des reserves, mais que je les gardasse pour moi; elle me demanda
une franchise entiere. Je m'expliquai donc, comme je le devais, sur ces
deux points avec sincerite. Elle m'en remercia et poussa la critique
bien plus loin que je ne le fa
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