un joyeux et
loyal butor, et sa maitresse, Genevieve, une pauvre fleuriste qui
prendra tout ce coeur desherite et qui mourra de cet amour! Pas une page
ici, pas une ligne qui ne soit du roman experimental, sauf la poesie,
qui transfigure tout, meme l'analyse, meme l'observation. Nous
pourrions faire la meme enquete, qui nous donnerait le meme resultat,
jusqu'a _Jean de la Roche_, jusqu'au _Marquis de Villemer_, en insistant
sur ce trait que les situations donnees et les caracteres indiques sont
presque toujours pris dans la realite la mieux observee, et que ce n'est
que dans la suite et sous la pression d'une imagination qui ne se
contient plus que les caracteres s'alterent, se deforment ou
s'idealisent a l'exces.
Il y a un de ses romans surtout, dont elle dit elle-meme "qu'il est un
livre tout d'analyse et de meditation", et qui m'a semble se detacher en
relief sur l'ensemble de son oeuvre, comme une des plus fortes etudes
qui aient jamais ete faites sur une des formes maladives de l'amour, la
jalousie; je veux parler de _Lucrezia Floriani_. Il importe peu que ce
soit un chapitre de psychologie intime, ou les personnages reels du
drame de sa vie peuvent se reconnaitre eux-memes sous des noms nouveaux.
Il importe moins encore que George Sand se soit faiblement defendue
d'avoir voulu faire dans ce roman des portraits tres exacts[8]. Ce qui
importe, c'est l'exactitude de la peinture morale qu'elle nous a donnee,
quel que soit l'exemplaire vivant ou elle en a pris les traits. Le point
de depart, ce fut un de ces amours reputes impossibles et qui sont
precisement ceux qui eclatent avec le plus de violence. "Comment le
prince Karoll, cet homme si beau, si jeune, si chaste, si pieux, si
poetique, si fervent et si recherche dans toutes ses pensees, dans
toutes ses affections, dans toute sa conduite, tomba-t-il, inopinement
et sans combat, sous l'empire d'une femme usee par tant de passions,
desabusee de tant de choses, sceptique et rebelle a l'egard de celles
qu'il respectait le plus, credule jusqu'au fanatisme a l'egard de celles
qu'il avait toujours niees, et qu'il devait nier toujours?" Ce fut, en
effet, un terrible malentendu; le chatiment ne se fit pas attendre. A
peine la destinee de cet invraisemblable amour s'est-elle accomplie,
l'imagination du prince Karoll s'excite sur toutes les circonstances de
la vie de Lucrezia, meme sur ce passe qu'on ne lui a pas cache; les
difficultes commencent; tout s'assombrit dans cette
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