e ne suis qu'une bonne
femme a qui on a prete des ferocites de caractere tout a fait
fantastiques." Elle tenait beaucoup a ce que l'on detruisit, dans
l'opinion publique, la legende d'autrefois. "On m'a accusee de n'avoir
pas su aimer passionnement. Il me semble que j'ai vecu de tendresse et
qu'on pouvait bien s'en contenter. A present, Dieu merci, on ne m'en
demande pas davantage, et ceux qui veulent bien m'aimer, malgre le
manque d'eclat de ma vie et de mon esprit, ne se plaignent pas de moi."
Elle me disait a peu pres la meme chose, en termes fort simples. En
abregeant cette lettre biographique, il me semble que je reproduis
quelques traits de sa conversation. Elle ecrivait facilement,
disait-elle, et avec plaisir, c'etait sa recreation; car la
correspondance etait enorme, et c'etait la le travail. Si encore on
n'avait a ecrire qu'a ses amis! Mais elle etait assaillie. "Que de
demandes touchantes ou saugrenues! Toutes les fois que je ne peux rien,
je ne reponds rien. Quelques-unes meritent que l'on essaye, meme avec
peu d'espoir de reussir. Il faut alors repondre qu'on essayera...
J'espere, apres ma mort, aller dans une planete ou l'on ne saura ni lire
ni ecrire." Chacun fait a sa maniere l'image de son Paradis. Elle avait
tant ecrit pendant sa vie qu'elle voulait se reposer d'ecrire toute
l'eternite. Et de fait elle etait l'obligeance meme, mais sans banalite.
Il est impossible de n'etre pas touche, en parcourant cette vaste
correspondance, de la bienveillance, je dirai meme de la charite d'ame
et d'art avec laquelle cette femme superieure se met a la portee des
talents ou fractions de talent qui l'implorent, de la franchise d'eloge
qui encourage les uns, de la sincerite, non sans menagements, destinee a
decourager les autres. C'est surtout l'avocat politique qui est
infatigable en elle. Plus libre que son parti, bien que republicaine de
naissance, comme elle le dit, elle ne cesse pas de demander, non pour
elle, grand Dieu! mais pour des amis ou des clients politiques, menaces
ou frappes apres le coup d'Etat, de reclamer pour qu'on les laisse en
France ou qu'on les rappelle de l'exil, et aupres de qui? aupres du
prince Louis-Napoleon lui-meme, d'abord president, puis empereur, qui
lui accordait un credit presque illimite d'influence. George Sand ne
menageait pas ce credit; sans rien ceder de ses opinions personnelles,
elle obtenait presque toujours ce qu'elle demandait, et cela fait le
plus grand honneur a la solli
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