n saisir le jeu et
s'habituer a ces surprises qu'il lui causait toujours. D'elle-meme, elle
serait restee volontiers en dehors de ces fantaisies etourdissantes, de
ces vives saillies, de cette gymnastique alerte de l'idee, de ces
attaques et de ces ripostes ou excellaient quelques-uns de ses
contemporains et de ses amis; elle aurait fait, parmi eux, triste figure
si l'on n'avait connu d'ailleurs la haute valeur de cette intelligence.
Je me la represente difficilement dans ces fameux diners de chez Magny,
ou se reunissaient alors les plus brillants jouteurs de la plume ou de
la parole. Elle-meme craignait, en y allant (ce qu'elle ne manquait pas
de faire chaque fois qu'elle passait par Paris), d'y apporter de
l'embarras pour les autres et de la gene dans cette conversation
eblouissante, paradoxale, qui ne laissait pas de l'etonner. "Je vois,
grace a vous, ecrivait-elle a l'un de ses plus zeles correspondants, le
diner Magny comme si j'y etais. Seulement il me semble qu'il doit etre
encore plus gai sans moi; car Theo[14] a parfois des remords quand il
s'emancipe trop a mon oreille. Dieu sait pourtant que je ne voudrais,
pour rien au monde, mettre une sourdine a sa verve. Elle fait d'autant
plus ressortir l'inalterable douceur de l'adorable Renan, avec sa tete
de _Charles le Sage_." On ne se figure pas George Sand avec son calme,
avec son serieux, donnant la replique aux terribles malices de
Sainte-Beuve, le chef du choeur, aux ironies de Flaubert, aux paradoxes
"exuberants" de Theophile Gautier. Elle se plaignait parfois de cette
outrance dans la plaisanterie, et de ce qu'elle appelait, d'un mot qui
revient souvent dans sa correspondance, la _blague_, chez les artistes
et les lettres de Paris. Elle a besoin de protester, au nom du bon sens,
du gout et du serieux de la vie, quand la mesure a ete depassee. "Je ne
sais, ecrit-elle a Flaubert, si tu etais chez Magny un jour ou je leur
ai dit qu'ils etaient tous des _messieurs_. Ils disaient qu'il ne
fallait pas ecrire pour les ignorants; ils me conspuaient, parce que je
ne voulais ecrire que pour ceux-la, vu qu'eux seuls ont besoin de
quelque chose. Les maitres sont pourvus, riches et satisfaits. Les
imbeciles manquent de tout, je les plains. Aimer et plaindre ne se
separent pas. Et voila le mecanisme peu complique de ma pensee." Elle ne
convertissait personne, mais elle donnait a chacun une raison nouvelle
de l'estimer, en parlant ainsi.
Telle je la vis dans cette journee q
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