des yoles qui passaient enlevees a grands
coups d'aviron par des canotiers aux bras nus; et il pensa: "Voila des
gaillards qui ne doivent pas s'embeter!"
Le long ruban de riviere deroule des deux cotes du pont du Pecq eveilla,
dans le fond de son coeur, un vague desir de promenade au bord des
berges. Mais le train s'engouffra sous le tunnel qui precede la gare de
Saint-Germain pour s'arreter bientot au quai d'arrivee.
Parent descendit, et, alourdi par la fatigue, s'en alla, les mains
derriere le dos, vers la Terrasse. Puis, parvenu contre la balustrade de
fer, il s'arreta pour regarder l'horizon. La plaine immense s'etalait
en face de lui, vaste comme la mer, toute verte et peuplee de
grands villages, aussi populeux que des villes. Des routes blanches
traversaient ce large pays, des bouts de forets le boisaient par places,
les etangs du Vesinet brillaient comme des plaques d'argent, et les
coteaux lointains de Sannois et d'Argenteuil se dessinaient sous une
brume legere et bleuatre qui les laissait a peine deviner. Le soleil
baignait de sa lumiere abondante et chaude tout le grand paysage un
peu voile par les vapeurs matinales, par la sueur de la terre chauffee
s'exhalant en brouillards menus, et par les souffles humides de la
Seine, qui se deroulait comme un serpent sans fin a travers les plaines,
contournait les villages et longeait les collines.
Une brise molle, pleine de l'odeur des verdures et des seves, caressait
la peau, penetrait au fond de la poitrine, semblait rajeunir le coeur,
alleger l'esprit, vivifier le sang.
Parent, surpris, la respirait largement, les yeux eblouis par l'etendue
du paysage; et il murmura: "Tiens, on est bien ici."
Puis il fit quelques pas, et s'arreta de nouveau pour regarder. Il
croyait decouvrir des choses inconnues et nouvelles, non point les
choses que voyait son oeil, mais des choses que pressentait son ame, des
evenements ignores, des bonheurs entrevus, des joies inexplorees,
tout un horizon de vie qu'il n'avait jamais soupconne et qui s'ouvrait
brusquement devant lui en face de cet horizon de campagne illimitee.
Toute l'affreuse tristesse de son existence lui apparut illuminee par la
clarte violente qui inondait la terre. Il vit ses vingt annees de cafe,
mornes, monotones, navrantes. Il aurait pu voyager comme d'autres, s'en
aller la-bas, la-bas, chez des peuples etrangers, sur des terres peu
connues, au dela des mers, s'interesser a tout ce qui passionne les
autres ho
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