Et quoi de plus joli aussi que leurs mouvements pour detacher ces doux
vetements qui s'abattent, vides et mous, comme s'ils venaient d'etre
frappes de mort? Comme elle est superbe et saisissante l'apparition de
la chair, des bras nus et de la gorge apres la chute du corsage, et
combien troublante la ligne, du corps devinee sous le dernier voile!
Mais voila que, tout a coup, j'apercus une chose surprenante, une tache
noire, entre les epaules; car elle me tournait le dos; une grande tache
en relief, tres noire. J'avais promis d'ailleurs de ne pas regarder.
Qu'etait-ce? Je n'en pouvais douter pourtant, et le souvenir de la
moustache visible, des sourcils unissant les yeux, de cette toison de
cheveux qui la coiffait comme un casque, aurait du me preparer a cette
surprise.
Je fus stupefait cependant, et hante brusquement par des visions, et
des reminiscences singulieres. Il me sembla que je voyais une des
magiciennes des _Mille et une nuits_, un de ces etres dangereux et
perfides qui ont pour mission d'entrainer les hommes en des abimes
inconnus. Je pensai a Salomon faisant passer sur une glace la reine de
Saba pour s'assurer qu'elle n'avait point le pied fourchu.
Et... et quand il fallut lui chanter ma chanson d'amour, je decouvris
que je n'avais plus de voix, mais plus un filet, mon cher. Pardon,
j'avais une voix de chanteur du Pape, ce dont elle s'etonna d'abord et
se facha ensuite absolument, car elle prononca, en se rhabillant avec
vivacite:
--Il etait bien inutile de me deranger.
Je voulus lui faire accepter la bague achetee pour elle, mais elle
articula avec tant de hauteur: "Pour qui me prenez-vous, Monsieur?" que
je devins rouge jusqu'aux oreilles de cet empilement d'humiliations. Et
elle partit sans ajouter un mot.
Or voila toute mon aventure. Mais ce qu'il y a de pis, c'est que,
maintenant, je suis amoureux d'elle et follement amoureux.
Je ne puis plus voir une femme sans penser a elle. Toutes les autres me
repugnent, me degoutent, a moins qu'elles ne lui ressemblent. Je ne puis
poser un baiser sur une joue sans voir sa joue a elle a cote de celle
que j'embrasse, et sans souffrir affreusement du desir inapaise qui me
torture.
Elle assiste a tous mes rendez-vous, a toutes mes caresses qu'elle me
gate, qu'elle me rend odieuses. Elle est toujours la, habillee ou nue,
comme ma vraie maitresse; elle est la, tout pres de l'autre, debout ou
couchee, visible mais insaisissable. Et je crois maintenant qu
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