s semait sur le ciel noir une poudre
d'or.
Mon compagnon me dit:
--Je ne sais pourquoi, je respire mieux ici, la nuit, que partout
ailleurs. Il me semble quo ma pensee s'y elargit. J'ai, par moments, ces
especes de lueurs dans l'esprit qui font croire, pendant une seconde,
qu'on va decouvrir le divin secret des choses. Puis la fenetre se
referme. C'est fini.
De temps en temps, nous voyions glisser deux ombres le long des massifs;
nous passions devant un banc ou deux etres, assis cote a cote, ne
faisaient qu'une tache noire.
Mou voisin murmura:
--Pauvres gens! Ce n'est pas du degout qu'ils m'inspirent, mais une
immense pitie. Parmi tous les mysteres de la vie humaine, il en est un
que j'ai penetre: notre grand tourment dans l'existence vient de ce que
nous sommes eternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne
tendent qu'a fuir cette solitude. Ceux-la, ces amoureux des bancs en
plein air, cherchent, comme nous, comme toutes les creatures, a faire
cesser leur isolement, rien que pendant une minute au moins; mais ils
demeurent, ils demeureront toujours seuls; et nous aussi.
On s'en apercoit plus ou moins, voila tout.
Depuis quelque temps j'endure cet abominable supplice d'avoir compris,
d'avoir decouvert l'affreuse solitude ou je vis, et je sais que rien ne
peut la faire cesser, rien, entends-tu! Quoi que nous tentions, quoi que
nous fassions, quels que soient l'elan de nos coeurs, l'appel de nos
levres et l'etreinte de nos bras, nous sommes toujours seuls.
Je t'ai entraine ce soir, a cette promenade, pour ne pas rentrer chez
moi, parce que je souffre horriblement, maintenant, de la solitude de
mon logement. A quoi cela me servira-t-il? Je te parle, tu m'ecoutes, et
nous sommes seuls tous deux, cote a cote, mais seuls. Me comprends-tu?
Bienheureux les simples d'esprit, dit l'Ecriture. Ils ont l'illusion
du bonheur. Ils ne sentent pas, ceux-la, notre misere solitaire, ils
n'errent pas, comme moi, dans la vie, sans autre contact que celui des
coudes, sans autre joie que l'egoiste satisfaction de comprendre, de
voir, de deviner et de souffrir sans fin de la connaissance de notre
eternel isolement.
Tu me trouves un peu fou, n'est-ce pas?
Ecoute-moi. Depuis que j'ai senti la solitude de mon etre, il me semble
que je m'enfonce, chaque jour davantage, dans un souterrain sombre, dont
je ne trouve pas les bords, dont je ne connais pas la fin, et qui n'a
point de bout, peut-etre! J'y vais sans pe
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