a une femme legitime, d'aller payer
des cocottes.
--Soit, mais je ne veux pas etre ridicule.
_La comtesse s'est assise sur une chaise longue. Elle retire lentement
ses bas en les retournant comme une peau de serpent. Sa jambe rose sort
de la gaine de soie mauve, et le pied mignon se pose sur le tapis._
_Le comte s'approche un peu et d'une voix tendre:_
--Quelle drole d'idee vous avez la?
--Quelle idee?
--De me demander cinq mille francs.
--Rien de plus naturel. Nous sommes etrangers l'un a l'autre, n'est-ce
pas? Or vous me desirez. Vous ne pouvez pas m'epouser puisque nous
sommes maries. Alors vous m'achetez, un peu moins peut-etre qu'une
autre.
Or, reflechissez. Cet argent, au lieu d'aller chez une gueuse qui en
ferait je ne sais quoi, restera dans votre maison, dans votre menage. Et
puis, pour un homme intelligent, est-il quelque chose de plus amusant,
de plus original que de se payer sa propre femme. On n'aime bien, en
amour illegitime, que ce qui coute cher, tres cher. Vous donnez a notre
amour... legitime, un prix nouveau, une saveur de debauche, un ragout
de... polissonnerie en le... tarifant comme un amour cote. Est-ce pas
vrai?
_Elle s'est levee presque nue et se dirige vers un cabinet de toilette._
--Maintenant, Monsieur, allez-vous-en, ou je sonne ma femme de chambre.
_Le comte debout, perplexe, mecontent, la regarde, et, brusquement, lui
jetant a la tete son portefeuille:_
--Tiens, gredine, en voila six mille...Mais tu sais?...
_La comtesse ramasse l'argent, le compte, et d'une voix lente:_
--Quoi?
--Ne t'y accoutume pas.
_Elle eclate de rire, et allant vers lui:_
--Chaque mois, cinq mille, Monsieur, ou bien je vous renvoie a vos
cocottes. Et meme si...si vous etes content...je vous demanderai de
l'augmentation.
PETIT SOLDAT
Chaque dimanche, sitot qu'ils etaient libres, les deux petits soldats se
mettaient en marche.
Ils tournaient a droite en sortant de la caserne, traversaient
Courbevoie a grands pas rapides, comme s'ils eussent fait une promenade
militaire; puis, des qu'ils avaient quitte les maisons, ils suivaient,
d'une allure plus calme, la grand'route poussiereuse et nue qui mene a
Bezons.
Ils etaient petits, maigres, perdus dans leur capote trop large, trop
longue, dont les manches couvraient leurs mains, genes par la culotte
rouge, trop vaste, qui les forcait a ecarter les jambes pour aller vite.
Et sous le shako raide et haut, on ne voyait plu
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