ait de leur enfance,
en quelques mots seulement qui leur donnaient longtemps a songer. Et le
pays, le cher pays lointain les repossedait peu a peu, les envahissait,
leur envoyait, a travers la distance, ses formes, ses bruits, ses
horizons connus, ses odeurs, l'odeur de la lande verte ou courait l'air
marin.
Ils ne sentaient plus les exhalaisons du fumier parisien dont sont
engraissees les terres de la banlieue, mais le parfum des ajoncs fleuris
que cueille et qu'emporte la brise salee du large. Et les voiles des
canotiers, apparues au-dessus des berges, leur semblaient les voiles des
caboteurs, apercues derriere la longue plaine qui s'en allait de chez
eux jusqu'au bord des flots.
Ils marchaient a petits pas, Luc Le Ganidec et Jean Kerderen, contents
et tristes, hantes par un chagrin doux, un chagrin lent et penetrant de
bete en cage, qui se souvient.
Et quand Luc avait fini de depouiller la mince baguette de son ecorce,
ils arrivaient au coin du bois ou ils dejeunaient tous les dimanches.
Ils retrouvaient les deux briques cachees par eux dans un taillis, et
ils allumaient un petit feu de branches pour cuire leur boudin sur la
pointe de leur couteau.
Et quand ils avaient dejeune, mange leur pain jusqu'a la derniere
miette, et bu leur vin jusqu'a la derniere goutte, ils demeuraient
assis dans l'herbe, cote a cote, sans rien dire, les yeux au loin, les
paupieres lourdes, les doigts croises comme a la messe, leurs jambes
rouges allongees a cote des coquelicots du champ; et le cuir de leurs
shakos et le cuivre de leurs boutons luisaient sous le soleil ardent,
faisaient s'arreter les alouettes qui chantaient en planant sur leurs
tetes.
Vers midi, ils commencaient a tourner leurs regards de temps en temps du
cote du village de Bezons, car la fille a la vache allait venir.
Elle passait devant eux tous les dimanches pour aller traire et remiser
sa vache, la seule vache du pays qui fut a l'herbe, et qui paturait une
etroite prairie sur la lisiere du bois, plus loin.
Ils apercevaient bientot la servante, seul etre humain marchant a
travers la campagne, et ils se sentaient rejouis par les reflets
brillants que jetait le seau de fer blanc sous la flamme du soleil.
Jamais ils ne parlaient d'elle. Ils etaient seulement contents de la
voir, sans comprendre pourquoi.
C'etait une grande fille vigoureuse, rousse et brulee par l'ardeur des
jours clairs, une grande fille hardie de la campagne parisienne.
Une fois, e
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