dre compte
encore.
Puis, la fille s'assit a cote de Luc, et ils se mirent a bavarder.
Jean ne les regardait pas, il devinait maintenant pourquoi son camarade
etait sorti deux fois pendant la semaine, et il sentait en lui un
chagrin cuisant, une sorte de blessure, ce dechirement que font les
trahisons.
Luc et la fille se leverent pour aller ensemble remiser la vache.
Jean les suivit des yeux. Il les vit s'eloigner cote a cote. La culotte
rouge de son camarade faisait une tache eclatante dans le chemin. Ce fut
Luc qui ramassa le maillet et frappa sur le pieu qui retenait la bete.
La fille se baissa pour la traire, tandis qu'il caressait d'une main
distraite l'echine coupante de l'animal. Puis ils laisserent le seau
dans l'herbe et ils s'enfoncerent sous le bois.
Jean ne voyait plus rien que le mur de feuilles ou ils etaient entres;
et il se sentait si trouble que, s'il avait essaye de se lever, il
serait tombe sur place assurement. Il demeurait immobile, abruti
d'etonnement et de souffrance, d'une souffrance naive et profonde. Il
avait envie de pleurer, de se sauver, de se cacher, de ne plus voir
personne jamais.
Tout a coup, il les apercut qui sortaient du taillis. Ils revinrent
doucement en se tenant par la main, comme font les promis dans les
villages. C'etait Luc qui portait le seau.
Ils s'embrasserent encore avant de se quitter, et la fille s'en alla
apres avoir jete a Jean un bonsoir amical et un sourire d'intelligence.
Elle ne pensa point a lui offrir du lait ce jour-la.
Les deux petits soldats demeurerent cote a cote, immobiles comme
toujours, silencieux et calmes, sans que la placidite de leur visage
montrat rien de ce qui troublait leur coeur. Le soleil tombait sur eux.
La vache, parfois, mugissait en les regardant de loin.
A l'heure ordinaire, ils se leverent pour revenir.
Luc epluchait une baguette. Jean portait le litre vide. Il le deposa
chez le marchand de vin de Bezons. Puis ils s'engagerent sur le pont,
et, comme chaque dimanche, ils s'arreterent au milieu, afin de regarder
couler l'eau quelques instants.
Jean se penchait, se penchait de plus en plus sur la balustrade de fer,
comme s'il avait vu dans le courant quelque chose qui l'attirait. Luc
lui dit: "C'est-il que tu veux y boire un coup?" Comme il prononcait
le dernier mot, la tete de Jean emporta le reste, les jambes enlevees
decrivirent un cercle en l'air, et le petit soldat bleu et rouge tomba
d'un bloc, entra et disparut
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