rsonne avec moi, sans personne
autour de moi, sans personne de vivant faisant cette meme route
tenebreuse. Ce souterrain, c'est la vie. Parfois j'entends des bruits,
des voix, des cris... je m'avance a tatons vers ces rumeurs confuses.
Mais je ne sais jamais au juste d'ou elles parlent; je ne rencontre
jamais personne, je ne trouve jamais une autre main dans ce noir qui
m'entoure. Me comprends-tu?
Quelques hommes ont parfois devine cette souffrance atroce.
Musset s'est ecrie:
Qui vient? Qui m'appelle? Personne.
Je suis seul.--C'est 1 heure qui sonne,
O solitude!--O pauvrete!
Mais, chez lui, ce n'etait la qu'un doute passager, et non pas une
certitude definitive, comme chez moi. Il etait poete; il peuplait la vie
de fantomes, de reves. Il n'etait jamais vraiment seul.--Moi, je suis
seul!
Gustave Flaubert, un des grands malheureux de ce monde, parce qu'il
etait un des grands lucides, n'ecrivit-il pas a une amie cette phrase
desesperante: "Nous sommes tous dans un desert. Personne ne comprend
personne."
Non, personne ne comprend personne, quoi qu'on pense, quoi qu'on dise,
quoi qu'on tente. La terre sait-elle ce qui se passe dans ces etoiles
que voila, jetees comme une graine de feu a travers l'espace, si loin
que nous apercevons seulement la clarte de quelques-unes, alors que
l'innombrable armee des autres est perdue dans l'infini, si proches
qu'elles forment peut-etre un tout, comme les molecules d'un corps?
Eh bien, l'homme ne sait pas davantage ce qui se passe dans un autre
homme. Nous sommes plus loin l'un de l'autre que ces astres, plus isoles
surtout, parce que la pensee est insondable.
Sais-tu quelque chose de plus affreux que ce constant frolement des
etres que nous ne pouvons penetrer! Nous nous aimons les uns les autres
comme si nous etions enchaines, tout pres, les bras tendus, sans
parvenir a nous joindre. Un torturant besoin d'union nous travaille,
mais tous nos efforts restent steriles, nos abandons inutiles, nos
confidences infructueuses, nos etreintes impuissantes, nos caresses
vaines. Quand nous voulons nous meler, nos elans de l'un vers l'autre ne
font que nous heurter l'un a l'autre.
Je ne me sens jamais plus seul que lorsque je livre mon coeur a quelque
ami, parce que je comprends mieux alors l'infranchissable obstacle.
Il est la, cet homme; je vois ses yeux clairs sur moi! mais son ame,
derriere eux, je ne la connais point. Il m'ecoute. Que pense-t-il? Oui,
que pense-t-il?
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