les chenils roulants de la voilure. Chacun de nous garde le
sien sous ses pieds pour avoir chaud.
Et nous voila partis, secoues abominablement. Il gelait, il gelait
ferme. Nous etions contents. Vers cinq heures nous arrivions. Le
fermier, maitre Picot, nous attendait devant la porte. C'est aussi un
gaillard, pas grand, mais rond, trapu, vigoureux comme un dogue, ruse
comme un renard, toujours souriant, toujours content et sachant faire
argent de tout.
C'est grande fete pour lui, au moment des becasses.
La ferme est vaste, un vieux batiment dans une cour a pommiers, entouree
de quatre rangs de hetres qui bataillent toute l'annee contre le vent de
mer.
Nous entrons dans la cuisine ou flambe un beau feu en notre honneur.
Notre table est mise tout contre la haute cheminee ou tourne et cuit,
devant la flamme claire, un gros poulet dont le jus coule dans un plat
de terre.
La fermiere alors nous salue, une grande femme muette, tres polie,
tout occupee des soins de la maison, la tete pleine d'affaires et de
chiffres, prix des grains, des volailles, des moutons, des boeufs.
C'est une femme d'ordre, rangee et severe, connue a sa valeur dans les
environs.
Au fond de la cuisine s'etend la grande table ou viendront s'asseoir
tout a l'heure les valets de tout ordre, charretiers, laboureurs,
goujats, filles de ferme, bergers; et tous ces gens mangeront en silence
sous l'oeil actif de la maitresse, en nous regardant diner avec maitre
Picot, qui dira des blagues pour rire. Puis, quand tout son personnel
sera repu, madame Picot prendra, seule, son repas rapide et frugal sur
un coin de table, en surveillant la servante.
Aux jours ordinaires elle dine avec tout son monde.
Nous couchons tous les trois, les d'Orgemol et moi, dans une chambre
blanche, toute nue, peinte a la chaux, et qui contient seulement nos
trois lits, trois chaises et trois cuvettes.
Gaspard s'eveille toujours le premier, et sonne une diane retentissante.
En une demi-heure tout le monde est pret et on part avec maitre Picot
qui chasse avec nous.
Maitre Picot me prefere a ses maitres. Pourquoi? sans doute parce que
je ne suis pas son maitre. Donc nous voila tous les deux qui gagnons
le bois par la droite, tandis que les deux freres vont attaquer par la
gauche. Simon a la direction des chiens qu'il traine, tous les trois
attaches au bout d'une corde.
Car nous ne chassons pas la becasse, mais le lapin. Nous sommes
convaincus qu'il ne faut pas cher
|