ons baptisee ainsi, avaient
cru a un nom d'Orientale et la nommaient Zaira; puis ils avaient cede a
leur tour leurs canots et quelques canotieres a la generation suivante.
(Une generation de canotiers vit, en general, trois ans sur l'eau, puis
quitte la Seine pour entrer dans la magistrature, la medecine ou la
politique).
Zaira etait alors devenue Zara, puis, plus tard, Zara s'etait encore
modifie en Sarah. On la crut alors israelite.
Les tout derniers, ceux a monocle, l'appelaient donc tout simplement "La
Juive".
Puis elle disparut.
Et voila que je la retrouvais marchande de tabac a Barviller.
Je lui dis:
--Eh bien, ca va donc, a present?
Elle repondit: Un peu mieux.
Une curiosite me saisit de connaitre la vie de cette femme. Autrefois
je n'y aurais point songe; aujourd'hui, je me sentais intrigue, attire,
tout a fait interesse. Je lui demandai:
--Comment as-tu fait pour avoir de la chance?
--Je ne sais pas. Ca m'est arrive comme je m'y attendais le moins.
--Est-ce a Chatou que tu l'as rencontree?
--Oh non!
--Ou ca donc?
--A Paris, dans l'hotel que j'habitais.
--Ah! Est-ce que tu n'avais pas une place a Paris.
--Oui, j'etais chez madame Ravelet.
--Qui ca, madame Ravelet?
--Tu ne connais pas madame Ravelet? Oh!
--Mais non.
--La modiste, la grande modiste de la rue de Rivoli.
Et la voila qui se met a me raconter mille choses de sa vie ancienne,
mille choses secretes de la vie parisienne, l'interieur d'une maison de
modes, l'existence de ces demoiselles, leurs aventures, leurs idees,
toute l'histoire d'un coeur d'ouvriere, cet epervier de trottoir qui
chasse par les rues, le matin, en allant au magasin, le midi, en
flanant, nu-tete, apres le repas, et le soir en montant chez elle.
Elle disait, heureuse de parler de l'autrefois:
--Si tu savais comme on est canaille... et comme on en fait de roides.
Nous nous les racontions chaque jour. Vrai, on se moque des hommes, tu
sais!
Moi, la premiere rosserie que j'ai faite, c'est au sujet d'un parapluie.
J'en avais un vieux, en alpaga, un parapluie a en etre honteuse. Comme
je le fermais en arrivant, un jour de pluie, voila la grande Louise qui
me dit:--Comment! tu oses sortir avec ca!
--Mais je n'en ai pas d'autre, et en ce moment, les fonds sont bas.
Ils etaient toujours bas, les fonds!
Elle me repond:--Vas en chercher un a la Madeleine.
Moi, ca m'etonne.
Elle reprend:--C'est la que nous les prenons, toutes; on
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